Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/680

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notre temps ont trouvée dans la communication des esprits et des corps, et même des substances corporelles entre elles : et je ne sais si vous n’y en avez point trouvé vous-même. Il est vrai qu’il y a, selon moi, des efforts dans toutes les substances ; mais ces efforts ne sont proprement que dans la substance même ; et ce qui s’ensuit dans les autres n’est qu’en vertu d’une harmonie préétablie (s’il m’est permis d’employer ce mot), et nullement par une influence réelle, ou par une transmission de quelque espèce ou qualité. Comme j’ai expliqué ce que c’est que l’action et la passion, on peut inférer aussi ce que c’est que l’effort et la résistance.

Vous savez, dites-vous, Monsieur, qu’il y a bien encore des questions à faire, avant qu’on puisse décider celles que nous venons d’agiter, mais peut-être trouverez-vous que je les ai déjà faites ; et je ne sais si vos académiciens ont pratiqué avec plus de rigueur et plus effectivement que moi ce qu’il y a de bon dans leur méthode. J’approuve fort qu’on cherche à démontrer les vérités depuis les premiers principes : cela est plus utile qu’on ne pense ; et j’ai mis ce précepte en pratique. Ainsi j’applaudis à ce que vous dites là-dessus, et je voudrais que votre exemple portât nos philosophes à y penser comme il faut. J’ajouterai encore une réflexion, qui me paraît considérable pour mieux faire comprendre la réalité et l’usage de mon système. Vous savez que M. Descartes a cru qu’il se conserve la même quantité de mouvement dans les corps. On a montré qu’il s’est trompé en cela ; mais j’ai fait voir qu’il est toujours vrai qu’il se conserve la même force mouvante, pour laquelle il avait pris la quantité du mouvement. Cependant les changements qui se font dans le corps en conséquence des modifications de l’âme l’embarrassèrent, parce qu’elles semblaient violer cette loi. Il crut donc avoir trouvé un expédient, qui est ingénieux en effet, en disant qu’il faut distinguer entre le mouvement et la direction ; et que l’âme ne saurait augmenter ni diminuer la force mouvante, mais qu’elle change la direction ou détermination du cours des esprits animaux, et que c’est par là qu’arrivent les mouvements volontaires. Il est vrai qu’il n’avait garde d’expliquer comment fait l’âme pour changer le cours des corps, cela paraissant aussi inconvenable que de dire qu’elle leur donne du mouvement, à moins qu’on n’ait recours avec moi à l’harmonie préétablie ; mais il faut savoir qu’il y a une autre loi de la nature, que j’ai découverte et démontrée, et que M. Descartes ne savait pas : c’est qu’il se conserve non seulement la même