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fait son caractère individuel. Et c’est ce qui fait que chacune de ces substances, représentant exactement tout l’univers à sa manière, et suivant un certain point de vue, et les perceptions ou expressions des choses externes arrivant à l’âme à point nommé, en vertu de ses propres lois, comme dans un monde à part, et comme s’il n’existait rien que Dieu et elle (pour me servir de la manière de parler d’une certaine personne d’une grande élévation d’esprit, dont la sainteté est célébrée), il y aura un parfait accord entre toutes ces substances, qui fait le même effet qu’on remarquerait si elles communiquaient ensemble par une transmission des espèces, ou des qualités que le vulgaire des philosophes s’imagine. De plus, la masse organisée, dans laquelle est le point de vue de l’âme, étant exprimée plus prochainement par elle, et se trouvant réciproquement prête à agir d’elle-même, suivant les lois de la machine corporelle, dans le moment que l’âme le veut, sans que l’un trouble les lois de l’autre, les esprits et le sang ayant justement alors les mouvements qu’il leur faut pour répondre aux passions et aux perceptions de l’âme ; c’est ce rapport mutuel réglé par avance dans chaque substance de l’univers, qui produit ce que nous appelons leur communication, et qui fait uniquement l’union de l’âme et du corps. Et l’on peut entendre par là comment l’âme a son siège dans le corps par une présence immédiate, qui ne saurait être plus grande, puisqu’elle y est comme l’unité est dans le résultat des unités qui est la multitude.

15. Cette hypothèse est très possible. Car pourquoi Dieu ne pourrait-il pas donner d’abord à la substance une nature ou force interne qui lui pût produire par ordre (comme dans un automate spirituel ou formel, mais libre en celle qui a la raison en partage) tout ce qui lui arrivera, c’est-à-dire, toutes les apparences ou expressions qu’elle aura, et cela sans le secours d’aucune créature ? D’autant plus que la nature de la substance demande nécessairement et enveloppe essentiellement un progrès ou un changement, sans lequel elle n’aurait point de force d’agir. Et cette nature de l’âme étant représentative de l’univers d’une manière très exacte, quoique plus ou moins distincte, la suite des représentations que l’âme se produit, répondra naturellement à la suite des changements de l’univers même : comme en échange le corps a aussi été accommodé à l’âme, pour les rencontres où elle est conçue comme agissante au dehors ; ce qui est d’autant plus raisonnable, que les corps ne sont faits que pour les esprits seuls capables d’entrer en société avec Dieu, et de