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nous sentons les qualités des corps, parce que Dieu fait naître des pensées dans l’âme à l’occasion des mouvements de la matière ; et lorsque notre âme veut remuer le corps à son tour, ils jugèrent que c’est Dieu qui le remue pour elle. Et comme la communication des mouvements leur paraissait encore inconcevable, ils ont cru que Dieu donne du mouvement à un corps à l’occasion du mouvement d’un autre corps. C’est ce qu’ils appellent le Système des Causes occasionnelles, qui a été fort mis en vogue par les belles réflexions de l’auteur de La Recherche de la Vérité.

13. Il faut avouer qu’on a bien pénétré dans la difficulté, en disant ce qui ne se peut point ; mais il ne paraît pas qu’on l’ait levée en expliquant ce qui se fait effectivement. Il est bien vrai qu’il n’y a point d’influence réelle d’une substance créée sur l’autre, en parlant selon la rigueur métaphysique, et que toutes les choses, avec toutes leurs réalités, sont continuellement produites par la vertu de Dieu : mais pour résoudre des problèmes, il n’est pas assez d’employer la cause générale, et de faire venir ce qu’on appelle Deum ex machina. Car lorsque cela se fait sans qu’il y ait autre explication qui se puisse tirer de l’ordre des causes secondes, c’est proprement recourir au miracle. En Philosophie il faut tâcher de rendre raison, en faisant connaître de quelle façon les choses s’exécutent par la sagesse divine, conformément à la notion du sujet dont il s’agit.

14. Étant donc obligé d’accorder qu’il n’est pas possible que l’âme ou quelque autre véritable substance puisse recevoir quelque chose par dehors, si ce n’est pas la toute-puissance divine, je fus conduit insensiblement à un sentiment qui me surprit, mais qui paraît inévitable, et qui en effet a des avantages très grands et des beautés bien considérables. C’est qu’il faut donc dire que Dieu a créé d’abord l’âme, ou toute autre unité réelle, en sorte que tout lui naisse de son propre fonds, par une parfaite spontanéité à l’égard d’elle-même, et pourtant avec une parfaite conformité aux choses de dehors. Et qu’ainsi nos sentiments intérieurs, c’est-à-dire, qui sont dans l’âme même, et non pas dans le cerveau, ni dans les parties subtiles du corps, n’étant que des phénomènes suivis sur les êtres externes, ou bien des apparences véritables et comme des songes bien réglés, il faut que ces perceptions internes dans l’âme même lui arrivent par sa propre constitution originale, c’est-à-dire par la nature représentative (capable d’exprimer les êtres hors d’elle par rapport à ses organes) qui lui a été donnée dès sa création, et qui