Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/657

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire un changement au mouvement, on n’aurait point de principe pour déterminer le moyen de l’estimer en détail, et pour savoir la direction et la vitesse résultante. En tout cas, on pencherait à l’opinion de la conservation du mouvement ; au lieu que je crois avoir démontré que la même force se conserve[1], et que sa quantité est différente de la quantité du mouvement.

Tout cela fait connaître qu’il y a dans la matière quelque autre chose que ce qui est purement géométrique, c’est-à-dire que l’étendue et son changement, et son changement tout nu. Et à le bien considérer, on s’aperçoit qu’il y faut joindre quelque notion supérieure ou métaphysique, savoir celle de la substance, action et force ; et ces notions portent que tout ce qui pâtit doit agir réciproquement, et que tout ce qui agit doit pâtir quelque réaction ; et par conséquent qu’un corps en repos ne doit être emporté par un autre en mouvement sans changer quelque chose de la direction et de la vitesse de l’agent.

Je demeure d’accord que naturellement tout corps est étendu, et qu’il n’y a point d’étendue sans corps. Il ne faut pas néanmoins confondre les notions du lieu, de l’espace, ou de l’étendue toute pure, avec la notion de la substance, qui outre l’étendue renferme aussi la résistance, c’est-à-dire l’action et passion.

Cette considération me paraît importante non seulement pour connaître la nature de la substance étendue, mais aussi pour ne pas mépriser dans la physique les principes supérieurs et immatériels, au préjudice de la piété. Car quoique je sois persuadé que tout se fait mécaniquement dans la nature corporelle, je ne laisse pas de croire aussi que les principes mêmes de la mécanique, c’est-à-dire les premières lois du mouvement, ont une origine plus sublime que celle que les pures mathématiques peuvent fournir. Et je m’imagine que si cela était plus connu, ou mieux considéré, bien des personnes de piété n’auraient pas si mauvaise opinion de la philosophie corpusculaire, et les philosophes modernes joindraient mieux la connaissance de la nature avec celle de son auteur.

Je ne m’étends pas sur d’autres raisons touchant la nature du corps ; car cela me mènerait trop loin.

  1. Journal des Savants, année 1686.