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des notions innées

tions que M.  Gassendi a faites à M.  Descartes. Il a enrichi et renforcé ce système par mille belles réflexions ; et je ne doute point que maintenant notre parti ne triomphe hautement de ses adversaires, les péripatéticiens et les cartésiens. C’est pourquoi, si vous n’avez pas encore lu ce livre, je vous y invite ; et, si vous l’avez lu, je vous supplie de m’en dire votre sentiment.

Théophile. Je me réjouis de vous voir de retour après une longue absence, heureux dans la conclusion de votre importante affaire, plein de santé, ferme dans l’amitié pour moi, et toujours porté avec une ardeur égale à la recherche des plus importantes vérités. Je n’ai pas moins continué mes méditations dans le même esprit ; et je crois d’avoir profité aussi autant et peut-être plus que vous, si je ne me flatte pas. Aussi en avais-je plus besoin que vous, car vous étiez plus avancé que moi. Vous aviez plus de commerce avec les philosophes spéculatifs, et j’avais plus de penchant vers la morale. Mais j’ai appris de plus en plus combien la morale reçoit d’affermissement des principes solides de la véritable philosophie, c’est pourquoi je les ai étudiés depuis avec plus d’application, et je suis entré dans des méditations assez nouvelles. De sorte que nous aurons de quoi nous donner un plaisir réciproque et de longue durée en nous communiquant l’un à l’autre nos éclaircissements. Mais il faut que je vous dise pour nouvelle que je ne suis plus cartésien, et que cependant je suis éloigné plus que jamais de votre Gassendi, dont je reconnais d’ailleurs le savoir et le mérite. J’ai été frappé d’un nouveau système, dont j’ai lu quelque chose dans les journaux des savants de Paris, de Leipsig et de Hollande, et dans le merveilleux dictionnaire de M.  Bayle[1] article de Rorarius, et depuis je crois voir une nouvelle face de l’intérieur des choses. Ce système paraît allier Platon avec Démocrite, Aristote avec Descartes, les scolastiques avec les modernes, la théologie et la morale avec la raison. Il semble qu’il prend le meilleur de tous côtés et que puis après il va plus loin qu’on n’est allé encore. J’y trouve une explication intelligible de l’union de l’âme et du corps, chose dont j’avais désespéré

  1. Bayle : (Pierre), célèbre critique, controversiste, philosophe du xviie siècle, né au Carlat (Comté de Foix) en 1647. Professeur de philosophie à Sedan en 1673, mort en 1706. Ses principaux ouvrages sont : Pensées sur la Comète (1682), Critique générale de l’histoire du Cctlvinisme de Maimbourg, Nouvelles de la République des Lettres et enfin son célèbre Dictionnaire historique et critique (1698). On a publié à La Haye en 1727-1737 les Œuvres diverses de Bayle, en 4 volumes in-folio.