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immola au lieu d’Isaac doit être appelé un bélier, c’est une question de nom, à peu près comme serait la question, si un papillon peut être appelé un ver à soie. La difficulté que vous trouvez, Monsieur, à l’égard de ce bélier réduit en cendres, ne vient que de ce que je ne m’étais pas assez bien expliqué car vous supposez qu’il ne reste point de corps organisé dans ces cendres, ce qui vous donne droit de dire que ce serait une chose monstrueuse, que cette infinité d’âmes sans corps organisés, au lieu que je suppose que naturellement il n’y a point d’âme sans corps animé, et point de corps animé sans organes ; et ni cendres ni autres masses ne me paraissent incapables de contenir des corps organisés.

Pour ce qui est des esprits, c’est-à-dire des substances qui pensent, qui sont capables de connaître Dieu et de découvrir des vérités éternelles, je tiens que Dieu les gouverne suivant des lois différentes de celle dont il gouverne le reste des substances. Car, toutes les formes des substances exprimant tout l’univers, on peut dire que les substances brutes expriment plutôt le monde que Dieu, mais que les esprits expriment plutôt Dieu que le monde. Aussi Dieu gouverne les substances brutes suivant les lois matérielles de la force ou des communications du mouvement, mais les esprits suivant les lois spirituelles de la justice, dont les autres sont incapables. Et c’est pour cela que les substances brutes se peuvent appeler matérielles, parce que l’économie que Dieu observe à leur égard est celle d’un ouvrier ou machiniste ; mais, à l’égard des esprits, Dieu fait la fonction de prince ou de législateur qui est infiniment plus relevée. Et Dieu n’étant à l’égard de ces substances matérielles que ce qu’il est à l’égard de tout, savoir l’acteur général des êtres, il prend un autre personnage à l’égard des esprits qui le fait concevoir revêtu de volonté et de qualités morales, puisqu’il est lui-même un esprit, et comme un d’entre nous, jusqu’à entrer avec nous dans une liaison de société, dont il est le chef. Et c’est cette société ou république générale des esprits sous ce souverain monarque qui est la plus noble partie de l’univers, composée d’autant de petits dieux sous ce grand Dieu. Car on peut dire que les esprits créés ne drillèrent de Dieu que de plus à moins, du fini à l’infini. Et on peut assurer véritablement que tout l’univers n’a été fait que pour contribuer à l’ornement et au bonheur de cette cité de Dieu. C’est pourquoi tout est disposé en sorte que les lois de la force ou les lois purement matérielles conspirent dans tout l’univers à