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Et c’est ce qui vous fait dire que « les Anciens se sont trompés d’avoir introduit les transmigrations des âmes au lieu des transformations d’un même animal qui garde toujours la même âme ». On ne pouvait rien s’imaginer de plus subtil pour résoudre cette difficulté. Mais prenez garde, Monsieur, à ce que je m’en vais vous dire. Quand un papillon de ver à soie jette ses œufs, chacun de ces œufs selon vous a une âme de ver à soie, d’où il arrive que cinq ou six mois après il en sort de petits vers à soie. Or, si on avait brûlé cent vers à soie, il y aurait aussi selon vous cent âmes de vers à soie, dans autant de petites parcelles de ces cendres ; mais d’une part je ne sais pas à qui vous pourrez persuader que chaque ver à soie après avoir été brûlé, est demeuré le même animal qui a gardé la même âme jointe a une petite parcelle de cendre qui était auparavant une petite partie de son corps ; et de l’autre, si cela était, pourquoi ne naîtrait-il point de vers à soie de ces parcelles de cendre, comme il en naît des œufs.

6° Mais cette difficulté paraît plus grande dans les animaux que l’on sait plus certainement ne naître jamais que de l’alliance des deux sexes. Je demande, par exemple, ce qu’est devenue l’âme du bélier qu’Abraham immola au lieu d’lsaac et qu’il brûla ensuite. Vous ne direz pas qu’elle est passée dans le fœtus d’un autre bélier. Car ce serait la métempsycose des Anciens que vous condamnez. Mais vous me répondrez qu’elle est demeurée dans une parcelle du corps de bélier réduit en cendres, et qu’ainsi ce n’a été que la transformation du même animal qui a toujours été la même âme. Cela se pourrait dire a avec quelque vraisemblance dans votre hypothèse des formes substantielles d’une chenille qui devient papillon, parce que le papillon est un corps organisé, aussi bien que la chenille, et qu’ainsi c’est un animal qui peut être pris pour le même que la chenille, parce qu’il conserve beaucoup de parties de la chenille sans aucun changement, et que les autres n’ont changé que de figure. Mais cette partie du bélier réduit en cendre dans laquelle l’âme du bélier se serait retirée, n’étant point organisée, ne peut être prise pour un animal, et ainsi l’âme du bélier y étant jointe ne compose point un animal, et encore moins un bélier comme devrait faire l’âme d’un bélier. Que fera donc l’âme de ce bélier dans cette cendre ? Car elle ne peut s’en séparer pour ailleurs : ce serait une transmigration d’âme que vous condamnez. Et il en est de même d’une infinité d’autres âmes qui ne composeraient point d’animaux