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ou plutôt qu’une machine est au-dessous d’un homme. C’est même par là que les traits de l’avenir sont formés par avance et que les traces du passé se conservent pour toujours dans chaque chose et que la cause et l’effet s’entrepriment exactement jusqu’au détail de la moindre circonstance, quoique tout effet dépende d’une infinité de causes, et que toute cause ait une infinité d’effets ; ce qu’il ne serait pas possible d’obtenir, si l’essence du corps consistait dans une certaine figure, mouvement ou modification d’étendue, qui fût déterminée. Aussi dans la nature il n’y en a point ; tout est indéfini à la rigueur à l’égard de l’étendue, et ce que nous en attribuons aux corps ne sont que des phénomènes et des abstractions ; ce qui fait voir combien on se trompe en ces matières faute d’avoir fait ces réflexions si nécessaires pour reconnaître les véritables principes et pour avoir une juste idée de l’univers. Et il me semble qu’il y a autant de préjudice à ne pas entrer dans cette idée si raisonnable, qu’il y en a à ne pas reconnaître la grandeur du monde, la subdivision à l’infini et les explications machinales de la nature. On se trompe autant de concevoir l’étendue comme une notion primitive sans concevoir la véritable notion de la substance et de l’action, qu’on se trompait autrefois en se contentant de considérer les formes substantielles en gros sans entrer dans le détail des modifications de l’étendue.

La multitude des âmes (à qui je n’attribue pas pour cela toujours la volupté ou la douleur) ne doit pas nous faire de peine, non plus que celle des atomes des gassendistes, qui sont aussi indestructibles que ces âmes. Au contraire, c’est une perfection de la nature d’en avoir beaucoup, une âme ou bien une substance animée étant infiniment plus parfaite qu’un atome, qui est sans aucune variété ou subdivision, au lieu que chaque chose animée contient un monde de diversités dans une véritable unité. Or, l’expérience favorise cette multitude des choses animées. On trouve qu’il y a une quantité prodigieuse d’animaux dans une goutte d’eau imbue de poivre ; et on en peut faire mourir des millions tout d’un coup, et tant les grenouilles des Égyptiens que les cailles des Israélites dont vous parlez, Monsieur, n’y approchent point. Or, si ces animaux ont des âmes, il faudra dire de leurs âmes ce qu’on peut dire probablement des animaux mêmes, savoir, qu’ils ont déjà été vivants dès la création du monde, et le seront jusqu’à sa fin, et que, la génération n’étant apparemment qu’un changement consistant dans l’accroissement, la mort ne sera