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qu’un être de raison, et quand on les approchera l’un de l’autre, ce sera un être d’imagination ou perception, c’est-à-dire un phénomène ; car l’attouchement, le mouvement commun, le concours à un même dessein ne changent rien à l’unité substantielle. Il est vrai qu’il y a tantôt plus, tantôt moins de fondement de supposer comme si plusieurs choses faisaient une seule, selon que ces choses ont plus de connexion, mais cela ne sert qu’à abréger nos pensées et à représenter les phénomènes.

Il semble aussi que ce qui fait l’essence d’un être par agrégation n’est qu’une manière d’être de ceux dont-il est composé, par exemple ce qui fait l’essence d’une armée n’est qu’une manière d’être des hommes qui la composent. Cette manière d’être suppose donc une substance, dont l’essence ne soit pas une manière d’être d’une substance. Toute machine aussi suppose quelque substance dans les pièces dont elle est faite, et il n’y a point de multitude sans des véritables unités. Pour trancher court je tiens pour un axiome cette proposition identique qui n’est diversifiée que par l’accent, savoir que ce qui n’est pas véritablement un être n’est pas non plus véritablement un être. On a toujours cru que l’un et l’être sont des choses réciproques. Autre chose est l’être, autre chose est des êtres ; mais le pluriel suppose le singulier, et là où il n’y a pas un être, il y aura encore moins plusieurs êtres. Que peut-on dire de plus clair ? J’ai donc cru qu’il me serait permis de distinguer les êtres d’agrégation des substances ; puisque ces êtres n’ont leur unité que dans notre esprit, qui se fonde sur les rapports ou modes des véritables substances. Si une machine est une substance, un cercle d’hommes qui se prennent par les mains le sera aussi, et puis une armée, et enfin toute une multitude de substances.

Je ne dis pas qu’il n’y a rien de substantiel ou rien que d’apparent dans les choses qui iront pas une véritable unité, car j’accorde qu’ils ont toujours autant de réalité ou de substantialité, qu’il y a de véritable unité dans ce qui entre dans leur composition.

Vous objectez, Monsieur, qu’il pourra être de l’essence du corps de n’avoir pas une vraie unité, mais il sera donc de l’essence du corps d’être un phénomène, dépourvu de toute réalité, comme serait un songe réglé, car les phénomènes mêmes comme l’arc-en-ciel ou comme un tas de pierres seraient tout à fait imaginaires s’ils n’étaient composés d’êtres qui ont une véritable unité.