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préface

la matière, attribuée à M. Newton, dans les termes que j’ai cités ci-dessus, avouant qu’on n’en saurait jamais concevoir le comment. Ce qui est en effet retourner aux qualités occultes, ou, qui plus est, inexplicables. Il ajoute (p. 401) que rien n’est plus propre à favoriser les sceptiques que de nier ce qu’on n’entend point : et (p. 402) qu’on ne conçoit pas même comment l’âme pense ; Il veut (p. 403) que les deux substances, la matérielle et l’immatérielle, pouvant être conçues dans leur essence nue sans aucune activité, à dépend de Dieu de donner à l’une et a l’autre la puissance de penser. Et on veut se prévaloir de l’aveu de l’adversaire, qui avait accordé le sentiment aux bêtes, mais qui ne leur accorderait pas quelque substance immatérielle. On prétend que la liberté ; la consciosité (p. 408) et la puissance de faire des abstractions (p. 409) peuvent être données à la matière, non pas comme matière, mais comme enrichie par une puissance divine. Enfin, on rapporte (p. 434) la remarque d’un voyageur aussi considérable et judicieux que l’est M. de la Loubère[1], que les païens de l’orient connaissent l’immortalité de l’âme, sans en pouvoir comprendre l’immatérialité.

Sur tout cela, je remarquerai, avant de venir à l’explication de mon opinion, qu’il est sûr que la matière est aussi peu capable de produire machinalement du sentiment, que de produire de la raison, comme notre auteur en demeure d’accord ; qu’à la vérité je reconnais qu’il n’est pas permis de nier ce qu’on n’entend pas, mais j’ajoute qu’on a droit de nier (au moins dans l’ordre naturel) ce qui absolument n’est point intelligible ni explicable. Je soutiens aussi que les substances (matérielles ou immatérielles) ne sauraient être conçues dans leur essence nue sans aucune activité ; que l’activité est de l’essence de la substance en général, et qu’enfin la conception des créatures n’est pas la mesure du pouvoir de Dieu, mais que leur conceptivité, ou force de concevoir, est la mesure du pouvoir de la nature, tout ce qui est conforme à l’ordre naturel pouvant être conçu ou entendu par quelque créature.

Ceux qui concevront mon système, jugeront que je ne saurais me conformer en tout avec l’un ou l’autre de ces deux excellents auteurs dont la contestation cependant est fort instructive. Mais, pour m’expliquer distinctement, il faut considérer, avant toutes choses,

  1. La Loubère, Simon (1642-1720) a publié un livre sur le royaume de Siam (Paris, 1691).