Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/589

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

corps, et même des bêtes, je ne saurais assurer absolument s’ils sont animés, ou au moins s’ils sont des substances, ou bien s’ils sont simplement des machines ou agrégés de plusieurs substances. Mais au moins je puis dire que, s’il n’y a aucunes substances corporelles, telles que je veux, il s’ensuit que les corps ne seront que des phénomènes véritables, comme l’arc-en-ciel ; car le continu n’est pas seulement divisible à l’infini, mais toute partie de la matière est actuellement divisée en d’autres parties aussi différentes entre elles que les deux diamants susdits ; et cela allant toujours ainsi, on ne viendra jamais à quelque chose dont on puisse dire : voilà réellement un être, que lorsqu’on trouve des machines animées dont l’âme ou forme substantielle fait l’unité substantielle indépendante de l’union extérieure de l’attouchement. Et s’il n’y en a point, il s’ensuit que hormis l’homme il n’y aurait rien de substantiel dans le monde visible.

Sixièmement, comme la notion de la substance individuelle en général, que j’ai donnée, est aussi claire que celle de la vérité, celle de la substance corporelle le sera aussi ; et par conséquent celle de la forme substantielle. Mais quand elle ne le serait pas, nous sommes obligés d’admettre bien des choses dont la connaissance n’est pas assez claire et distincte. Je tiens que celle de l’étendue l’est encore bien moins, témoin les étranges difficultés de la composition du continu ; et on peut même dire qu’il n’y a point de figure arrêtée et précise dans les corps, à cause de la subdivision actuelle des parties. De sorte que les corps seraient sans doute quelque chose d’imaginaire et d’apparent seulement, s’il n’y avait que de la matière et ses modifications. Cependant il est inutile de faire mention de l’unité, notion ou forme substantielle des corps, quand il s’agit d’expliquer les phénomènes particuliers de la nature, comme il est inutile aux géomètres d’examiner les difficultés de compositione continui, quand ils travaillent à résoudre quelque problème. Ces choses ne laissent pas d’être importantes et considérables en leur lieu. Tous les phénomènes des corps peuvent être expliqués machinalement ou par la philosophie corpusculaire, suivant certains principes de mécanique posés sans qu’on se mette en peine s’il y a des âmes ou non ; mais dans la dernière analyse des principes de la physique et de la mécanique même il se trouve qu’on ne saurait expliquer ces principes par les seules modifications de