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velle perfection par une influence extraordinaire, c’est une particularité sur laquelle je n’ai pas assez de lumières.

Je ne sais pas si le corps, quand l’âme ou la forme substantielle est mise à part, peut être appelé une substance. Ce pourra bien être une machine, un agrégé de plusieurs substances, de sorte que, si on me demande ce que je dois dire de forma, cadaveris ou d’un carreau de marbre, je dirai qu’ils sont peut-être unis per aggregationem comme un tas de pierres, et ne sont pas des substances. On pourra dire autant du soleil, de la terre, des machines, et excepté l’homme il n’y a point de corps dont je puisse assurer que c’est une substance plutôt qu’un agrégé de plusieurs ou peut-être un phénomène. Cependant il me semble assuré que, s’il y a des substances corporelles, l’homme ne l’est point seul, et il paraît probable que les bêtes ont des âmes quoiqu’elles manquent de conscience.

Enfin, quoique je demeure d’accord que la considération des formes ou âmes est inutile dans la physique particulière, elle ne laisse pas d’être importante dans la métaphysique. À peu près comme les géomètres ne se soucient pas de compesitione continui, et les physiciens ne se mettent point en peine si une boule pousse l’autre, ou si c’est Dieu.

Il serait indigne d’un philosophe d’admettre ces âmes ou formes sans raison, mais sans cela il n’est pas intelligible que les corps sont des substances.


Lelbniz à Arnauld.

Hanovre, 28 nov. — 6 déc. 1686
Monsieur,

Comme j’ai trouvé quelque chose d’extraordinaire dans la franchise et dans la sincérité avec laquelle vous vous êtes rendu à quelques raisons dont je m’étais servi, je ne saurais me dispenser de le reconnaître et de l’admirer. Je me doutais bien que l’argument pris de la nature générale des propositions ferait quelque impression sur votre esprit ; mais j’avoue aussi qu’il y a peu de gens capables de goûter des vérités si abstraites, et que peut-être tout autre que vous ne se serait pas aperçu si aisément de sa force.

Je souhaiterais d’être instruit de vos méditations touchant la possibilité des choses, qui ne sauraient être que profondes et importantes ; d’autant qu’il s’agit de parler de ces possibilités d’une ma-