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Et on ne peut dire que c’est une manière d’être ou modalité, puisqu’il faudrait que la substance dont cette forme serait la modalité fût l’étendue. Ce qui n’est pas apparemment votre pensée. Et si cette forme substantielle d’une qu’elle était devient deux, pourquoi n’en dira-t-on pas autant de l’étendue seule sans cette forme substantielle ?

4. Donnez-vous à l’étendue une forme substantielle générale, telle que l’ont admise quelques scolastiques qui l’ont appelée formam corporeitatis : ou si vous voulez qu’il y ait autant de formes substantielles différentes qu’il y a de corps différents : et différentes d’espèce, quand ce sont des corps différents d’espèces.

5. En quoi mettez-vous l’unité qu’on donne à la terre, au soleil, à la lune, quand on dit qu’il n’y a qu’une terre que nous habitons, qu’un soleil qui nous éclaire, qu’une lune qui tourne en tant de jours à l’entour de la terre ? Croyez-vous qu’il soit nécessaire pour cela que la terre par exemple, composée de tant de parties hétérogènes, ait une forme substantielle qui lui soit propre et qui lui donne cette unité ? Il n’y a pas d’apparence que vous le croyîez. J’en dirai de même d’un arbre, d’un cheval. Et de là je passerai à tous les mixtes. Par exemple, le lait est composé de sérum, de la crème et de ce qui se caille. A-t-il trois formes substantielles, ou s’il n’en a qu’une ?

6. Enfin on dira qu’il n’est pas digne d’un philosophe d’admettre des entités dont on n’a aucune idée claire et distincte ; et qu’on n’en a point de ces formes substantielles ; et que de plus, selon vous, ou ne les peut prouver par leurs effets, puisque vous avouez que c’est par la philosophie corpusculaire qu’on doit expliquer tous les phénomènes particuliers de la nature, et que ce n’est rien dire d’alléguer ces formes.

7. Il y a des cartésiens qui, pour trouver l’unité dans les corps, ont nié que la matière fût divisible à l’infini, et qu’on devait admettre des atomes indivisibles. Mais je ne pense pas que vous soyez de leur sentiment.

J’ai considéré votre petit imprimé et je l’ai trouvé fort subtil. Mais prenez, garde si les cartésiens ne vous pourront point répondre, qu’il ne fait rien contre eux, parce qu’il semble que vous supposiez une chose qu’ils croient fausse, qui est qu’une pierre en descendant se donne à elle-même cette plus grande vélocité qu’elle acquiert plus elle descend. Ils diront que cela vient des corpuscules, qui en