Leibniz à Arnauld
J’ai toujours eu tant de vénération pour votre mérite élevé[1], que, lors même que je me croyais maltraité par votre censure, j’avais pris une ferme résolution de ne rien dire qui ne témoignât une estime très grande et beaucoup de déférence à votre égard. Que sera-ce donc maintenant que vous avez la générosité de me faire une restitution avec usure, ou plutôt avec libéralité, d’un bien que je chéris infiniment, qui est la satisfaction de croire que je suis bien dans votre esprit[2] ? Si j’ai été obligé de parler fortement, pour me défendre des sentiments que je vous avais paru soutenir, c’est que je les désapprouvle extrêmement, et que, faisant grand cas de votre approbation, j’étais d’autant plus sensible de voir que vous me les justifiez. Je souhaiterais de me pouvoir aussi bien justifier sur la vérité de mes opinions que sur leur innocence[3] ; mais, comme cela n’est pas absolument nécessaire, et que l’erreur en elle-même ne blesse ni la piété ni l’amitié, je ne m’en défends pas avec la même force ; et si dans le papier ci-joint je réplique à votre obligeante lettre, où vous avez marqué fort distinctement et d’une manière instructive, en quoi ma réponse ne vous a pas encore satisfait, ce n’est pas que je prétende que vous vous donniez le temps d’examiner de nouveau mes raisons ; car il est aisé de juger que vous avez des affaires plus importantes, et ces questions abstraites demandent du loisir. Mais c’est afin que vous le puissiez au moins faire, en cas[4] qu’à cause des conséquences surprenantes qui se peuvent tirer de ces notions abstraites, vous vous y voulussiez divertir un jour : ce que je souhaiterais pour mon profit[5] et pour l’éclaircissement de quelques importantes vérités contenues dans mon abrégé, dont l’approbation ou au moins l’innocence reconnue par votre jugement me serait de conséquence. Je le souhaiterais donc, dis-je, si je n’avais pas appris, il y a longtemps, de préférer
- ↑ Leihniz a corrigé par le mot : éminent.
- ↑ Au lieu de : ou plutôt… — votre esprit, — Leihniz a corrige ainsi : En me rendant votre estime qui est un bien que je chériis infiniment.
- ↑ « Je souhaiterais de pouvoir faire voir la vérité de mes opinions aussi sûrement que leur innocence. »
- ↑ « En cas que l’envie : vous prît un jour de vous en divertir. »
- ↑ « Et même pour celui du public. »