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nouveaux essais sur l’entendement

La question qu’il agite avec le célèbre prélat, qui l’avait attaqué, est si la matière peut penser ; et, comme c’est un point important, même pour le présent ouvrage, je ne puis me dispenser d’y entrer un peu, et de prendre connaissance de leur contestation. J’en représenterai la substance sur ce sujet, et prendrai la liberté de dire ce que je pense. Feu M. l’évêque de Worcester appréhendant (mais sans en avoir grand sujet à mon avis), que la doctrine des idées de notre auteur ne fût sujette à quelques abus, préjudiciables à la foi chrétienne, entreprit d’en examiner quelques endroits dans sa Vindication de la doctrine de la Trinité, et ayant rendu justice à cet excellent écrivain, en reconnaissant qu’il juge l’existence de l’esprit aussi certaine que celle du corps, quoique l’une de ces substances soit aussi peu connue que l’autre, il demande (p. 241, seq.) comment la réflexion nous peut assurer de l’existence de l’esprit, si Dieu peut donner à la matière la faculté de penser suivant le sentiment de notre auteur (liv. iv, chap. 3), puisque ainsi la voie des idées qui doit servira à discerner ce qui peut convenir à l’âme ou au corps, deviendrait inutile, au lieu qu’il était dit dans le livre II, de l’Essai sur l’Entendement (chap. xxiii, § 15, 27, 28), que les opérations de l’âme nous fournissent l’idée de l’esprit, et que l’entendement avec la volonté nous rend cette idée aussi intelligible que la nature du corps nous est rendue intelligible par la solidité et par l’impulsion. Voici comment notre auteur y répond dans la première lettre (p. 65, seq.) : « Je crois avoir prouvé qu’il y a une substance spirituelle en nous, car nous expérimentons en nous la pensée ; or cette action, ou ce mode, ne saurait être l’objet de l’idée d’une chose subsistante de soi, et par conséquent ce mode a besoin d’un support ou sujet d’invasion, et l’idée de ce support fait ce que nous appelons substance » — car, puisque l’idée générale de la substance est partout la même, « il s’ensuit que la modification qui s’appelle pensée ou pouvoir de penser, y étant jointe, cela fait un esprit sans qu’on ait besoin de considérer quelle autre modification il y a encore, c’est-à-dire s’il a de la solidité ou non ; et de l’autre côté la substance, qui a la modification qu’on appelle solidité, sera matière, soit que la pensée y soit jointe ou non. Mais, si par une substance spirituelle vous entendez une substance immatérielle, j’avoue de n’avoir point prouvé qu’il y en ait en nous, et qu’on ne peut point le prouver démonstrativement sur mes principes. Quoique ce que j’ai dit sur les systèmes de la matière (liv. IV, ch. x, § 16), en démontrant que Dieu est imma-