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trer dans ces difficultés dont M. Arnaud fait mention, comme est celle qu’il y a de comprendre comment la simplicité de Dieu est conciliable avec ce que nous sommes obligés d’y distinguer. Il est aussi fort difficile d’expliquer parfaitement comment Dieu a une science qu’il aurait pu ne pas avoir, qui est la science de la vision ; car, si les futurs contingents n’existaient point, Dieu n’en aurait point de vision. Il est vrai qu’il ne laisserait pas d’en avoir la science simple, laquelle est devenue vision en y joignant sa volonté ; de sorte que cette difficulté se réduit peut-être à ce qu’il y a de difficile dans sa volonté, savoir comment Dieu est libre de vouloir. Ce qui nous passe sans doute, mais il n’est pas aussi nécessaire de l’entendre pour résoudre notre question.

Pour ce qui est de la manière, selon laquelle nous concevons que Dieu agit en choisissant le meilleur parmi plusieurs possibles, M. Arnaud a raison d’y trouver de l’obscurité. Il semble néanmoins reconnaître que nous sommes portés à concevoir qu’il y a une infinité de premiers hommes possibles, chacun avec une grande suite de personnes et d’événements, et que Dieu en choisit celui qui lui plait avec sa suite ; cela n’est donc pas si étrange qu’il lui avait paru d’abord. Il est vrai que M. Arnaud témoigne qu’il est fort porté à croire que ces substances purement possibles ne sont que des chimères. C’est de quoi je ne veux pas disputer, mais j’espère que nonobstant cela il m’accordera ce dont j’ai besoin. Je demeure d’accord qu’il n’y a point d’autre réalité dans les purs possibles que celle qu’ils ont dans l’entendement divin, et on verra par là que M. Arnaud sera obligé lui-même de recourir à la science divine pour les expliquer au lieu qu’il semblait vouloir ci-dessus qu’on les devait cherchait en eux-mêmes. Quand j’accorderais aussi ce de quoi M. Arnaud se tient convaincu, et que je ne nie pas, que nous ne concevons rien de possible que par les idées qui se trouvent effectivement dans les choses que Dieu a crées, cela ne me nuirait point. Car, en parlant des possibilités, je me contente qu’on puisse former des propositions véritables. Par exemple, s’il n’y avait point de carré parfait au monde, nous ne laisserions pas de voir qu’il n’implique point de contradiction. Et si on voulait rejeter absolument les purs possibles, on détruirait la contingence ; car, si rien n’est possible que ce que Dieu a créé effectivement, ce que Dieu a créé serait nécessaire en cas que Dieu ait résolu de créer quelque chose.