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préface

quent la souvenance, et cela pour être mieux susceptibles des châtiments et des récompenses. Et j’ajoute encore qu’en général aucun dérangement des organes visibles n’est capable de porter les choses à une entière confusion dans l’animal, ou de détruire tous les organes et priver l’âme de tout son corps organique, et des restes ineffaçables de toutes les traces précédentes. Mais la facilité qu’on a eue de quitter l’ancienne doctrine des corps subtils, joints aux anges (qu’on confondait avec la corporalité des anges mêmes), et l’introduction de prétendues intelligences séparées dans les créatures (à quoi celles qui font rouler les cieux d’Aristote, ont contribué beaucoup) et enfin l’opinion mal entendue, où l’on a été, qu’on ne pouvait conserver les âmes des bêtes sans tomber dans la métempsycose et sans les promener de corps en corps et l’embarras où on a été en ne sachant ce qu’on devait faire, ont fait, à mon avis, qu’on a négligé la manière naturelle d’expliquer la conservation de l’âme. Ce qui a fait bien du tort à la religion naturelle et a fait croire à plusieurs que notre immortalité n’était qu’une grâce miraculeuse de Dieu, dont encore notre célèbre auteur parle avec quelque doute, comme je dirai tantôt. Mais il serait à souhaiter que tous ceux qui sont de ce sentiment en eussent parlé aussi sagement et d’aussi bonne foi que lui ; car il est à craindre que plusieurs qui parlent de l’immortalité par grâce, ne le font que pour sauver les apparenes et approchent dans le fond de ces averroistes et de quelques mauvais quiétistes, qui s’imaginent une absorption et réunion de l’âme à l’océan de la divinité, notion dont peut-être mon système seul fait bien voir l’impossibilité.

Il semble aussi que nous différons encore par rapport à la matière, en ce que l’auteur juge que le vide est nécessaire pour le mouvement, parce qu’il croit que les petites parties de la matière sont roides. Et j’avoue que, si la matière était composée de telles parties, le mouvement dans le plein serait impossible, comme si une chambre était pleine d’une quantité de petits cailloux, sans qu’il y eût la moindre place vide. Mais on n’accorde pas cette supposition, dont il ne paraît pas aussi qu’il y ait aucune raison ; quoique cet habile auteur aille jusqu’à croire que la roideur ou la cohésion des petites parties fait l’essence du corps. Il faut plutôt concevoir l’espace comme plein d’une matière originairement fluide, susceptible de toutes les divisions, et assujettie, même actuellement, à des divisions et subdivisions à l’infini ; mais avec cette différence pourtant,