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que quelques-uns ne croient signifier chez nous que l’obligation de professer ce que ces livres ou formulaires ont de la sainte Écriture ; en quoi ils sont contredits par d’autres. Et dans les ordres religieux du parti de Rome, sans se contenter des doctrines établies dans leur Église, on prescrit des bornes plus étroites à ceux qui enseignent ; témoin les propositions que le général des Jésuites, Claude Aquaviva[1] (si je ne me trompe), défendit d’enseigner dans leurs écoles. Il serait bon (pour le dire en passant) de faire un recueil systématique des propositions décidées et censurées par des conciles Papes, Évêques, Supérieurs, Facultés, qui servirait à l’histoire ecclésiastique. On peut distinguer entre enseigner et embrasser un sentiment. Il n’y a point de serment au monde ni de défense, qui puisse forcer un homme à demeurer dans la même opinion, car les sentiments sont involontaires en eux-mêmes ; mais il se peut et doit abstenir d’enseigner une doctrine qui passe pour dangereuse, à moins qu’il ne s’y trouve obligé en conscience. Et, en ce cas, il faut se déclarer sincèrement et sortir de son poste, quand on a été chargé d’enseigner ; supposé pourtant qu’on le puisse faire sans s’exposer à un danger extrême qui pourrait forcer de quitter sans bruit. Et on ne voit guère, d’autre moyen d’accorder les droits du public et du particulier : l’un devant empêcher ce qu’il juge mauvais, et l’autre ne pouvant point se dispenser des devoirs exigés par sa conscience.

§ 18. Ph. Cette opposition entre le public et le particulier et même entre les opinions publiques de différents partis est un mal inévitable. Mais souvent les mêmes oppositions ne sont qu’apparentés, et ne consistent que dans les formules. Je suis obligé aussi de dire, pour rendre justice au genre humain, qu’il n’y a pas tant de gens engagés dans l’erreur qu’on le suppose ordinairement ; non que je crois qu’ils embrassent la vérité, mais parce qu’en effet sur les doctrines, dont on fait tant de bruit, ils n’ont absolument point d’opinion positive, et que, sans rien examiner et sans avoir dans l’esprit les idées les plus superficielles sur l’affaire en question, ils sont résolus de se tenir attachés à leur parti, comme des soldats qui n’examinent point la cause qu’ils défendent : et si la vie d’un homme

  1. Aquaviva (Claude), général des Jésuites, né dans le royaume de Naples en 1543, mort en 1615. — On connaît surtout son ordonnance intitulée Ratio studiorum (Rome, 1566, in-8o). ouvrage que les Jésuites ont fait supprimer par l’Inquisition. Il fut réimprimé avec changement en 1591. P. J.