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Th. Il faut avouer pourtant qu’on ne saurait éviter en bien des rencontres de se rendre à l’autorité. Saint Augustin a fait un livre assez joli, De Utilitate credendi, qui mérite d’être lu sur ce sujet, et quant aux opinions reçues, elles ont pour elles quelque chose d’approchant à ce qui donne ce qu’on appelle présomption chez les jurisconsultes : et quoiqu’on ne soit point obligé de les suivre toujours sans preuves, on n’est pas autorisé non plus à les détruire dans l’esprit d’autrui sans avoir des preuves contraires. C’est qu’il n’est point permis de rien changer sans raison. On a fort disputé sur l’argument tiré du grand nombre des approbateurs d’un sentiment depuis que feu M. Nicole publia son livre sur l’Église : mais tout ce qu’on peut tirer de cet argument, lorsqu’il s’agit d’approuver une raison et non pas d’attester un fait, ne peut être réduit qu’a ce que je viens de dire. Et comme cent chevaux ne courent pas plus vite qu’un cheval quoiqu’ils puissent tirer davantage, il en est de même de cent hommes comparés à un seul ; ils ne sauraient aller plus droit, mais ils travailleront plus efficacement ; ils ne sauraient mieux juger, mais ils seront capables de fournir plus de matière ou le jugement puisse être exercé. C’est ce que porte le proverbe : plus vident oculi quam oculus. On le remarque dans les Assemblées, où véritablement quantité de considérations sont mises sur le tapis, qui seraient peut-être échappées à un ou deux, mais on court risque souvent de ne point prendre le meilleur parti en concluant sur toutes ces considérations, lorsqu’il, n’y a point des personnes habiles chargées de les digérer et de les peser. C’est pourquoi quelques théologiens judicieux du parti de Rome, voyant que l’autorité de l’Église, c’est-à-dire celle des plus élevés en dignité et des plus appuyés par la multitude, ne pouvait être sûre en matière de raisonnement, l’ont réduite à la seule attestation des faits sous le nom de tradition. Ce fut l’opinion de Henri Holden[1], Anglais, docteur de Sorbonne, auteur d’un livre intitulé Analyse de la foi, où, suivant les principes du Commonitorium de Vincent de Lérins[2], il soutient qu’on ne saurait faire des décisions nouvelles dans l’Église, et que tout ce que

  1. Holden (Henri), docteur de la Faculté de théologie de Paris, né en 1576 dans la province de Lancastre en Angleterre, mort à Paris en 1665. On a de lui : Divinæ fidei analysis, Paris, 1632, in-8o ; Tractatus de schismate ; Tractatus de usurá ; Divers Traités de controverse. P. J.
  2. (2) Vincent de Lérins (saint), né à Toul, à ce que l’on suppose, vécut au Ve siècle siècle de l’ère chrétienne, mort vers 430. Ses œuvres complètes ont été publiées par Balard en 1663. P. J.