Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est-à-dire lorsque nous avons de l’attention, nous n’avons pas le choix de nous déterminer pour le côté que nous voulons, s’il y a entre les deux partis des différences tout à fait visibles, et que ce sera la plus grande probabilité qui déterminera notre assentiment.

Th. Je suis de votre avis dans le fond, et nous nous sommes assez expliqués là-dessus dans nos conférences précédentes quand nous avons parlé de la liberté. J ’ai montré alors que nous ne croyons jamais ce que nous voulons, mais bien ce que nous voyons le plus apparent : et que néanmoins nous pouvons nous faire croire indirectement ce que nous voulons, en détournant l’attention d’un objet désagréable pour nous appliquer à un autre, qui nous plaît ; ce qui fait qu’en envisageant davantage les raisons d’un parti favori nous le croyons enfin le plus vraisemblable. Quant aux opinions, où nous ne prenons guère d’intérêt, et que nous recevons sur des raisons légères, cela se fait parce que, ne remarquant presque rien qui s’y oppose, nous trouvons que l’opinion qu’on nous fait envisager favorablement surpasse autant et plus le sentiment opposé, qui n’a rien pour lui dans notre perception, que s’il y avait eu beaucoup de raisons de part et d’autre, car la différence entre 0 et 1, ou entre 2 et 3, est aussi grande qu’entre 9 et 10, et nous nous apercevons de cet avantage, sans penser à l’examen qui serait encore nécessaire pour juger, mais où rien ne nous convie.

§ 17. Ph. La dernière fausse mesure de probabilité, que j’ai dessein de remarquer, est l’autorité mal entendue, qui retient plus de gens dans l’ignorance et dans l’erreur que toutes les autres ensemble. Combien voit-on de gens qui n’ont point d’autre fondement de leur sentiment que les opinions reçues parmi nos amis ou parmi les gens de notre profession ou dans notre parti, ou dans notre pays ? Une telle doctrine a été approuvée par la vénérable antiquité ; elle vient à moi sous le passeport des siècles précédents ; d’autres hommes s’y rendent ; c’est pourquoi je suis à l’abri de l’erreur en la recevant. On serait aussi bien fondé à jeter à croix ou à pile pour prendre ses opinions, qu’à les choisir sur de telles règles. Et, outre que tous les hommes sont sujets à l’erreur, je crois que si nous pouvions voir les secrets motifs qui font agir les savants et les chefs de parti, nous trouverions souvent tout autre chose que, le pur amour de la vérité. Il est sûr au moins qu’i] n’y a point d’opinion si absurde, qu’elle ne puisse être embrassée sur ce fondement, puisqu’il n’y a guère d’erreur qui n’ait eu ses partisans.