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ses hypothèses ; son autorité, dis-je, qui est en vogue depuis 30 ou 40 ans, acquise par bien des veilles, soutenue par quantité de grec et de latin, confirmée par une tradition générale et par une barbe vénérable. Tous les arguments qu’on peut employer pour le convaincre de la fausseté de son hypothèse seront aussi peu capables de prévaloir sur son esprit que les efforts que fit Borée pour obliger le voyageur à quitter son manteau qu’il tint d’autant plus ferme que ce vent soufflait avec plus de violence.

Th. En effet, les coperniciens ont éprouvé dans leurs adversaires que les hypothèses, reconnues pour telles, ne laissent pas d’être soutenues avec un zèle ardent. Et les cartésiens ne sont pas moins positifs pour leurs particules cannelées[1] et petites boules du second élément[2] que si c’étaient des théorèmes d’Euclide ; et il semble que le zèle pour nos hypothèses n’est qu’un effet de la passion que nous avons de nous faire respecter nous-mêmes. Il est vrai que ceux qui ont condamné Galilée ont cru que le repos de la terre était plus qu’une hypothèse, car ils le jugeaient conforme à l’Écriture et à la raison. Mais depuis on s’est aperçu que la raison au moins ne la soutenait plus ; et quant à l’Écriture, le Père Fabry, pénitencier de Saint-Pierre, excellent théologien et philosophe, publiant dans Rome même une Apologie des Observations d’Eustachio Divini[3], fameux opticien[4], ne feignit point de déclarer que ce n’était que provisionnellement qu’on entendait dans le texte sacré un vrai mouvement du soleil, et que, si le sentiment de Copernic se trouvait vérifié, on ne ferait point difficulté de l’expliquer comme ce passage de Virgile :

« Terræque urbesque recedunt. »

Cependant on ne laisse pas de continuer en Italie et en Espagne et même dans les pays héréditaires de l’empereur de supprimer la doctrine de Copernic, au grand préjudice de ces nations, dont les esprits pourraient s’élever à des plus belles découvertes, s’ils jouissaient d’une liberté raisonnable et philosophique.

§ 12. Ph. Les passions dominantes paraissent être, en effet, comme vous dites, la source de l’amour qu’on a pour les hypothèses ; mais elles s’étendent encore bien plus loin. La plus grande probabilité du

  1. Voir Descartes, Principes de la philosophie, I. III, 90. P. J.
  2. Ibid., 52.
  3. Nous n’avons pas trouve la date de cet ouvrage qui doit être curieux.
  4. Eustachio Divini, célèbre opticien et musicien italien,1620-1666.