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qui manquent de capacité, il y en a peut-être moins qu’on ne pense ; je crois que le bon sens avec l’application peuvent suffire à tout ce qui ne demande pas de la promptitude. Je présuppose le bon sens, parce que je ne crois pas que vous vouliez exiger la recherche de la vérité des habitants des petites-maisons. Il est vrai qu’il n’y en a pas beaucoup qui n’en pourraient revenir, si nous en connaissions les moyens, et, quelque différence originale qu’il y ait entre nos âmes (comme je crois en effet qu’il y en a), il est toujours sûr que l’une pourrait aller aussi loin que l’autre (mais non pas peut-être si vite) si elle était menée comme il faut.

§ 6. Ph. Il y a une autre sorte de gens qui ne manquent que de volonté. Un violent attachement au plaisir, une constante application à ce qui regarde leur fortune, une paresse ou négligence générale, une aversion particulière pour l’étude et la méditation, les empêchent de penser sérieusement à la vérité. Il y en a même qui craignent qu’une recherche, exempte de toute partialité, ne fût point favorable aux opinions qui s’accommodent le mieux à leurs préjugés et à leurs desseins. On connaît des personnes qui ne veulent pas lire une lettre qu’on suppose porter de méchantes nouvelles, et bien des gens évitent d’arrêter leurs comptes ou de s’informer de l’état de leur bien, de peur d’apprendre ce qu’ils voudraient ignorer. Il y en a qui ont de grands revenus et les emploient tous à des provisions pour le corps, sans songer aux moyens de perfectionner l’entendement. Ils prennent un grand soin de paraître toujours dans un équipage propre et brillant, et ils souffrent sans peine que leur âme soit couverte des méchants haillons de la prévention et de l’erreur et que la nudité, c’est-à-dire l’ignorance, paraisse à travers. Sans parler des intérêts qu’ils doivent prendre à un état à venir, ils ne négligent pas moins ce qu’ils sont intéressés à connaître dans la vie qu’ils mènent dans ce monde. Et c’est quelque chose d’étrange que bien souvent ceux qui regardent le pouvoir et l’autorité comme un apanage de leur naissance ou de leur fortune l’abandonnent négligemment à des gens d’une condition inférieure à la leur, mais qui les surpassent en connaissance ; car il faut bien que les aveugles soient conduits par ceux qui voient, ou qu’ils tombent dans la fosse, et il n’y a point de pire esclavage que celui de l’entendement.

Th. Il n’y a point de preuve plus évidente de la négligence des hommes par rapport à leurs vrais intérêts, que le peu de soin qu’on a de connaître et de pratiquer ce qui convient à la santé, qui est un