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qui les éclairent. Les trembleurs sont dans cette persuasion, et Barclay, leur premier auteur méthodique, prétend qu’ils trouvent en eux une certaine lumière qui se fait connaître par elle-même. Mais pourquoi appeler lumière ce qui ne fait rien voir ? Je sais qu’il y a des personnes de cette disposition d’esprit, qui voient des étincelles et même quelque chose de plus lumineux, mais cette image de lumière corporelle excitée quand leurs esprits sont échauffés ne donne point de lumière à l’esprit. Quelques personnes idiotes, ayant l’imagination agitée, se forment des conceptions qu’ils n’avaient point auparavant ; ils sont en état de dire de belles choses à leur sens, ou du moins de fort animées ; ils admirent eux-mêmes et font admirer aux autres cette fertilité qui passe pour inspiration. Cet avantage leur vient en bonne partie d’une forte imagination que la passion anime et d’une mémoire heureuse, qui a bien retenu les manières de parler des livres prophétiques que la lecture ou les discours des autres leur ont rendus familiers. Antoinette de Bourignon[1] se servait de la facilité qu’elle avait de parler et d’écrire comme d’une preuve de sa mission divine. Et je connais un visionnaire qui fonde la sienne sur le talent qu’il a de parler et prier tout haut presque une journée entière sans se lasser et sans demeurer à sec. Il y a des personnes qui, après avoir pratiqué des austérités ou après un état de tristesse, goûtent une paix et consolation dans l’âme qui les ravit, et ils y trouvent tant de douceur qu’ils croient que c’est un effet du Saint-Esprit. Il est bien vrai que le contentement qu’on trouve dans la considération de la grandeur et de la bonté de Dieu, dans l’accomplissement de sa volonté, dans la pratique des vertus, est une grâce de Dieu, et des plus grandes ; mais ce n’est pas toujours une grâce qui ait besoin d’un secours surnaturel nouveau, comme beaucoup de ces bonnes gens le prétendent. On a vu, il n’y a pas longtemps, une demoiselle fort sage en toute autre chose, qui croyait dès sa jeunesse de parler à Jésus-Christ et d’être son épouse d’une manière toute particulière. Sa mère, à ce qu’on racontait, avait un peu donné dans l’enthousiasme, mais la fille ayant commencé de bonne heure, était allée bien plus avant. Sa satisfaction et sa joie était indicible, sa sagesse paraissait dans

  1. Bourignon (Antoinette), célèbre illuminée du XVIIe siècle siècle, née à Lille en 1616, morte à Franeker en 1680. On a d’elle un Traité de l’aveuglement des hommes ; le Nouveau Ciel, etc. Poiret, autre mystique, a développé et systématisé les idées de Mlle Bourignon, dans son Économie de la nature ; Amsterdam, 1686, 21 vol. in-8o. P. J.