Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/493

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
465
de la connaissance

fondé en raison ; autrement il détruirait les moyens de connaître la vérité, et ouvrirait la porte à l’enthousiasme : mais il n’est point nécessaire que tous ceux qui ont cette foi divine connaissent ces raisons et encore moins qu’ils lès aient toujours devant les yeux. Autrement les simples et idiots, au moins aujourd’hui, n’auraient jamais la vraie foi, et les plus éclairés ne l’auraient pas quand ils pourraient en avoir le plus de besoin, car ils ne peuvent pas se souvenir toujours des raisons de croire. La question de l`usage de la raison en théologie a été des plus agitées, tant entre les sociniens et ceux qu’on peut appeler catholiques dans un sens général, qu’entre les réformés et les évangéliques comme on nomme préférablement en Allemagne ceux que plusieurs appellent luthériens, mal à propos. Je me souviens d’avoir lu un jour une métaphysique d’un Stegmanuus[1] socinien (différent de Josué Stegmann qui a écrit lui-même contre eux), qui n’a pas encore été imprimée que je sache ; de l’autre côté un Keslerus[2], théologien de Saxe, a écrit une logique et quelques autres sciences philosophiques opposées exprès aux sociniens. On peut dire généralement que les sociniens vont trop vite à rejeter tout ce qui n’est pas conforme à l’ordre de la nature, lors même qu’ils n’en sauraient prouver absolument l’impossibilité. Mais aussi leurs adversaires quelquefois vont trop loin et poussent le mystère jusqu’aux bords de la contradiction ; en quoi ils font du tort à la vérité qu’ils tâchent de défendre, et je fus surpris de voir un jour dans la Somme de théologie du P. Honoré Fabry[3], qui d’ailleurs a été un des plus habiles de son ordre, qu’il niait dans les choses divines (comme font encore quelques autres théologiens) ce grand principe qui dit : « que les choses qui sont les mêmes avec une troisième sont les mêmes entre elles. » C’est donner cause gagnée aux adversaires sans y penser et ôter toute certitude à tout raisonnement. Il faut dire plutôt que ce principe y est mal appliqué. Le même auteur rejette dans sa Philosophie les distinctions virtuelles,

  1. Stegmannus (Joachim), socinien, né dans le Brandebourg, mort en 1632. On a de lui des ouvrages de mathématiques et de théologie. Il eut du reste deux frères, également sociniens, dont le plus jeune, Christophe, a publié une Dyade philosophique. Serait-ce le traité de métaphysique dont parle Leibniz ? P. J.
  2. Kesslerus (Andreas), 1595-1643. Il a écrit contre les sociniens ou photiniens : Photinianæ Physicæ Examen, Wittemberg, 1856 ; Metaphysicæ Photinianæ Examen, 1648 ; Logicæ Photininæ Examen, 1642.
  3. Farry (Honoré), 1607-1688, jésuite philosophe et mathématicien français ; Synopsys geometrica, Lyon, 1669 ; Physica, Lyon, 1669 ; Summa Theologiæ, Lyon, 1669.