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nouveaux essais sur l’entendement

naturelles de ces esprits et non pas de la vision béatifique, ni des lumières surnaturelles que Dieu veut bien leur accorder.

§ 19. Ph. Comme chacun se sert de la raison ou à part soi, ou envers un autre, il ne sera pas inutile de faire quelques réflexions sur quatre sortes d’arguments dont les hommes sont accoutumés de se servir pour entraîner les autres dans leurs sentiments, ou du moins pour les tenir dans une espèce de respect, qui les empêche de contredire. Le premier argument se peut appeler 1o argumentum ad verecundiam, quand on cite l’opinion de ceux qui ont acquis de l’autorité par leur savoir, rang, puissance ou autrement ; car, lorsqu’un autre ne s’y rend pas promptement, on est porté à le censurer comme plein de vanité et même à le taxer d’insolence. § 20. Il y a 2o argumentum ad ignoremtiam, c’est d’exiger que l’adversaire admette la preuve ou qu’il en assigne une meilleure. § 21. Il y a 3o argumentum ad hominem, quand on presse un homme par ce qu’il a dit lui-même. § 22. Enfin il y a 4o argumentum ad judicium, qui consiste à employer des preuves tirées de quelqu’une des sources de la connaissance ou de la probabilité ; et c’est le seul de tous qui nous avance et instruit ; car, si par respect je n’ose point contredire ou si je n’ai rien de meilleur à dire, ou si je me contredis, il ne s’ensuit point que vous avez raison. Je puis être modeste, ignorant, trompé, et vous pouvez vous être trompé aussi.

Th. Il faut sans doute faire différence entre ce qui est bon à dire et ce qui est vrai ai croire. Cependant, comme la plupart des vérités peuvent être soutenues hardiment, il y a quelque préjugé contre une opinion qu’il faut cacher. L’argun1ent ad ignorentiam est bon dans les cas à présomption, où il est raisonnable de se tenir à une opinion jusqu’à ce que le contraire se prouve. L’argument ad hominem a cet effet, qu’il montre que l’une ou l’autre assertion est fausse et que l’adversaire s’est trompé de quelque manière qu’on le prenne. On pourrait encore apporter d’autres arguments, dont on se sert, par exemple celui qu’on pourrait appeler ad vertiginem, lorsqu’on raisonne ainsi : si cette preuve n’est point reçue, nous n’avons aucun moyen de parvenir à la certitude sur le point dont il s’agit, ce qu’on prend pour une absurdité. Cet argument est bon en certains cas, comme si quelqu’un voulait nier les vérités primitives et immédiates, par exemple que rien ne peut être et n’être pas en même temps, car s’il avait raison, il n’y aurait aucun moyen de connaître quoique ce soit. Mais quand on s’est fait certains principes et quand on les veut