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de la connaissance

drap et tantôt à un autre pour faire voir qu’ils sont égaux. § 16. Mais si la liaison n’est que probable, le jugement ne donne qu’une opinion.

Th. Dieu seul a l’avantage de n’avoir que des connaissances intuitives. Mais les âmes bienheureuses, quelque détachées qu’elles soient de ces corps grossiers, et les génies mêmes, quelque sublimes qu’soient, quoiqu’ils aient une connaissance plus intuitive que nous sans comparaison et.qu’ils voient souvent d’un coup d’œil ce que nous ne trouvons qu’à force de conséquences, après avoir employé du temps et de la peine, doivent trouver aussi des difficultés en leur chemin, sans quoi ils n’auraient point de plaisir de faire des découvertes, qui est un des plus grands. Et il faut toujours reconnaître qu’il y aura une infinité de vérités qui, leur sont cachées, ou tout à fait ou pour un temps, où il faut qu’ils arrivent à force de conséquences et par la démonstration ou même souvent par conjecture.

Ph. Donc ces génies ne sont que des animaux plus parfaits que nous, c’est comme si vous disiez avec l’Empereur de la lune que c’est tout comme ici.

Th. Je le dirai, non pas tout a fait, mais quant au fond des choses, car la manière et les degrés de perfection varient à l’infini. Cependant le fond est partout le même, ce qui est une maxime fondamentale chez moi et qui règne dans toute ma philosophie. Et je ne conçois les choses inconnues ou confusément connues que de la manière de celles qui nous sont distinctement connues ; ce qui rend la philosophie bien aisée et je crois même qu’il en faut user ainsi : mais si cette philosophie est la plus simple dans le fond, elle est aussi la plus riche dans les manières, parce que la nature les peut varier à l’infini, comme, elle le fait aussi avec autant d’abondance, d’ordre et d’ornements qu’il est possible de se figurer. C’est pourquoi je crois qu’il n’y a point de génie, quelque sublime qu’il soit, qui n’en ait une infinité au-dessus de lui. Cependant, quoique nous soyons fort inférieurs a tant d’êtres intelligents, nous avons l’avantage de n’être point contrôlés visiblement dans ce globe, où nous tenons sans contredit le premier rang ; et avec toute l’ignorance où nous sommes plongés, nous avons toujours le plaisir de ne rien voir qui nous surpasse. Et si nous étions vains, nous pourrions juger comme César, qui aimait mieux être le premier dans une bourgade que le second à Rome. Au reste, je ne parle ici que des connaissances