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de la connaissance

les méthodes dont Diophante[1], Scipion du Fer[2] et Louis de Ferrare[3] se sont servis respectivement pour le second, 3e et 4e degré, afin de les réduire au premier, ou afin de réduire une} équation affectée à une pure, sont toutes différentes entre elles, c’est-a-dire celle qui sert pour un degré diffère un degré de celle qui sert pour l’autre. Car le second degré, ou de l’équation carrée, se réduit au premier, en ôtant seulement le second terme. Le troisième degré, ou de l’équation cubique, a été résolu parce qu’en coupant l’inconnue en parties il en provient heureusement une équation du second degré. Et dans le 4e degré, ou des biquadrates, on ajoute quelque chose des deux côtés de l’équation pour la rendre extrayable de part et d’autre ; et il se trouve encore heureusement que, pour obtenir cela, on n’a besoin que d’une équation cubique seulement. Mais tout cela n’est qu’un mélange de bonheur ou de hasard avec l’art ou méthode. Et en le tentant dans ces deux derniers degrés, on ne savait pas si l’on réussirait. Aussi faut-il encore quelque autre artifice pour réussir dans le 5e ou 6e degré, qui sont des sursolides et des bicubes ; et quoique M. Descartes ait cru que la méthode dont il s”est servi dans le 4e en concevant l’équation comme produite par deux autres équations carrées (mais qui dans le fond ne saurait donner plus que celle de Louis de Ferrare) réussirait aussi dans le 6e, cela ne s’est point trouvé. Cette difficulté fait voir qu’encore les idées les plus claires et les plus distinctes ne nous donnent pas toujours tout ce qu’on demande et tout ce qui s’en petit tirer. Et cela fait encore juger qu’il s’en faut beaucoup que l’algèbre soit l’art d’inventer, puisqu’elle-même a besoin d’un art plus général, c’est-à— dire l’art des caractères est un secours merveilleux parce qu’elle décharge l’imagination. L’on ne doutera point, voyant l’arithmétique de Diophante et les livres géométriques d’Apollonius et de Pappus, que les Anciens n’en aient eu quelque chose. Viète y a donné plus d’étendue en exprimant non seulement ce qui est demandé, mais encore les nombres donnés par des carac-

  1. Diophante, d’Alexandrie, a vécu du temps de l’empereur Julien vers 360 ; il est auteur du plus ancien Traité d’algèbre que nous ayons. On en a plusieurs éditions : la plus importante est celle de Toulouse (1760, in-fol.), avec les observations de Fermat. P. J.
  2. Scipion, jésuite de Bohème, né à Pilsen en 1567, s’est occupé de philosophie, de mathématiques et théologie. P. J.
  3. Louis de Ferrare (1522-1562), mathématicien italien, élève de Cardan, Opera omnia (Lyon, 1663, 10 vol.).