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de la connaissance

savoir manier la plume ni les jetons, jusqu’à redresser même des fautes d’un autre qui a appris à calculer, mais qui se peut négliger ou embrouiller dans les caractères ou marques. Il est vrai qu’encore les syllogismes peuvent devenir sophistiques, mais leurs propres lois servent à les reconnaître : et les syllogismes ne convertissent et même ne convainquent pas toujours ; mais c’est parce que l’abus des distinctions et des termes mal entendus en rend l’usage prolixe jusqu’à devenir insupportable s’i1 fallait le pousser à bout. Il ne me reste ici qu’à considérer et à suppléer votre argument, apporté pour servir d’exemple d’un raisonnement clair sans la forme des logiciens. Dieu punit l’homme (c’est un fait supposé), Dieu punit justement celui qu’il punit (c’est une vérité de raison qu’on peut prendre pour démontrer) ; donc Dieu punit l’homme justement (c’est une conséquence syllogistique étendue asyllogistiquement a recto ad obliquum ; donc l’homme est puni justement (c’est une inversion de relation, mais qu’on supprime à cause de son évidence) ; donc l’homme est coupable (c’est un enthymème, où l’on supprime cette proposition, qui en effet n’est qu’une définition : celui qu’on punit justement est coupable) ; donc l’homme aurait pu faire autrement (on supprime cette proposition : celui qui est coupable a pu faire autrement) ; donc l’homme a été libre (on supprime encore : qui a pu faire autrement a été libre) ; donc (par la définition du libre) il a eu la puissance de se déterminer. Ce qu’il fallait prouver. Où je remarque encore que ce donc même enferme en effet et la proposition sous entendue (que celui qui est libre a la puissance de se déterminer) et sert à éviter la répétition des termes. Et dans ce sens, il n’y aurait rien d’omis, et l’argument cet égard pourrait passer pour entier.

On voit que ce raisonnement est un tissu de syllogismes entièrement conformes à la logique ; car je ne veux point maintenant considérer la matière de ce raisonnement, où il y aurait peut-être des remarques à faire ou des éclaircissements à demander. Par exemple, quand un homme ne peut point faire autrement, il y a des cas ou il pourrait être coupable devant Dieu, comme s’il était bien aise de ne point pouvoir secourir son prochain pour avoir une excuse. Pour conclure, j’avoue que la forme d’argumenter scolastique est ordinairement incommode, insuffisante, mal ménagée, mais je dis en même temps que rien ne saurait être plus important que l’art d’argumenter en forme selon la vraie logique, c’est-à-dire pleinement quant à la matière, et clairement quant à l’ordre et à la forme des con-