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de la connaissance

qu’on peut donner aux génies. Mais, quelque effort qu’elle se donne, je doute : qu’elle puisse les rencontrer, à cause du grand intervalle entre nous et ces génies et de la grande variété qui s’y trouve. Et jusqu’à ce que nous trouvions des lunettes, telles que M.  Descartes nous faisait espérer pour discerner des parties du globe de la lune pas plus grandes que nos maisons, nous ne saurions déterminer ce qu’il y a dans un globe différent du nôtre. Nos conjectures seront plus utiles et plus véritables sur les parties intérieures de nos corps. J’espère qu’on ira bien au delà de la conjecture en bien des occasions et je crois déjà maintenant qu’au moins la violente agitation des parties du feu, dont vous venez de parler, ne doit pas être comptée parmi les choses qui ne sont que paraboles. C’est dommage que l’hypothèse de M.  Descartes sur la contexture des parties de l’univers visible ait été si peu confirmée par les recherches et découvertes faites depuis, ou que M.  Descartes n’ait pas vécu 50 ans plus tard pour nous donner une hypothèse sur les connaissances présentes, aussi ingénieuse que celle qu’il donna sur celles de son temps. Pour ce qui est de la connexion graduelle des espèces, nous en avons dit quelque chose dans une conférence précédente, où je remarquai que déjà des philosophes avaient raisonné sur le vide dans les formes ou espèces. Tout va par degrés dans la nature et rien par saut, et cette règle à l’égard des changements est une partie de ma loi de la continuité. Mais la beauté de la nature, qui veut des perceptions distinguées, demande des apparences de sauts et pour ainsi dire des chutes de musique dans les phénomènes, et prend plaisir de mêler les espèces. Ainsi, quoiqu’il puisse y avoir dans quelque autre monde des espèces moyennes entre l’homme et la bête (selon qu’on prend le sens de ces mots) et qu’il y ait apparemment quelque part des animaux raisonnables qui nous passent, la nature a trouvé bon de les éloigner de nous, pour nous donner sans contredit la supériorité que nous avons dans notre globe. Je parle des espèces moyennes et je ne voudrais pas me régler ici sur les individus humains qui approchent de brutes, parce qu’apparemment ce n’est pas un défaut de la faculté, mais un empêchement de l’exercice ; de sorte que je crois que le plus stupide des hommes (qui n’est pas dans un état contraire à la nature par quelque maladie ou par un autre défaut permanent tenant lieu de maladie) est incomparablement plus raisonnable et plus docile que la plus spirituelle de toutes les bêtes, quoiqu’on dise quelquefois le contraire par un