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de la connaissance

dire, par exemple, que l’ignorance de l’usage du fer est cause que dans les pays de l’Amérique, où la nature a répandu abondamment toutes sortes de biens, il manque la plus grande partie des commodités de la vie. Ainsi, bien loin de mépriser la science de la nature, § 12, je tiens que si cette étude est dirigée comme il faut, elle peut être d’une plus grande utilité au genre humain que tout ce qu’on a fait jusqu’ici ; et celui qui inventa l’imprimerie, qui découvrit l’usage de la boussole et qui fit connaître la vertu du quinquina, a plus contribué à la propagation de la connaissance et à l’avancement des commodités utiles à la vie, et a sauvé plus de gens du tombeau que les fondateurs des collèges et des hôpitaux et d’autres monuments de la plus insigne charité, qui ont été élevés à grands frais.

Th. Vous ne pouviez rien dire, Monsieur, qui fût plus à mon gré. La vraie morale ou piété nous doit pousser à cultiver les arts, bien loin de favoriser la paresse de quelques quiétistes fainéants. Et comme je l’ai dit il n’y a pas longtemps, une meilleure police serait capable de nous amener un jour une médecine beaucoup meilleure que celle d’à présent. C’est ce qu’on ne saurait assez prêcher, après le soin de la vertu.

§ 13. Ph. Quoique je recommande l’expérience, je ne méprise point les hypothèses probables. Elles peuvent mener à de nouvelles découvertes et sont du moins d’un grand secours à la mémoire. Mais notre esprit est fort porté à aller trop vite et à se payer de quelques apparences légères, faute de prendre la peine et le temps qu’il faut pour les appliquer à quantité de phénomènes.

Th. L’art de découvrir les causes des phénomènes, ou les hypothèses véritables, est comme l’art de déchiffrer, où souvent une conjecture ingénieuse abrège beaucoup de chemin. Le lord Bacon[1] a commencé à mettre l’art d’expérimenter en préceptes, et le chevalier Boyle a eu un grand talent pour le pratiquer. Mais si l’on n’y joint point l’art d’employer les expériences et d’en tirer des consé-

  1. Bacon (François), célèbre philosophe anglais, né à Londres en 1560, mort dans la même ville en 1626. Il fut chancelier d’Angleterre, et accusé de péculat. Ses principaux ouvrages sont : l’Instauratio magna, dont la première partie est le De Dignatate scientiarum, 1623, et la seconde le Novum Organum, inachevé, 1620. — Les Essais de morale et de politique, en anglais. Ses œuvres complètes ont été publiées plusieurs fois, Londres, 1730, 4 vol.  in-fol. ; 1765, 5 vol.  in-4o ; 1825-1836, 12 vol. , in-8o ; la plus complète de toutes. En France, M. Bouillet a donné une édition en 3 vol.  in-8o des œuvres philosophiques de Bacon, Ant. Lassalle a publié de 1800 à 1803 les œuvres de Bacon traduites en français, 15 vol.  in-8o. P. J.