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de la connaissance

connu en le supposant, et en parvenant de là par conséquence à des vérités connues ; ce qui est contre la logique (disait-il), qui enseigne que des faussetés on ne veut conclure des vérités. Mais je lui fis connaître par après que l’analyse se sert des définitions et autres propositions réciproques, qui donnent moyen de faire le retour et de trouver des démonstrations synthétiques. Et meme lorsque ce retour n’est point démonstratif, comme dans la physique, il ne laisse pas quelque fois d’être d’une grande vraisemblance, lorsque l’hypothèse explique facilement beaucoup de phénomènes, difficiles sans cela et fort indépendants les uns des autres. Je tiens à la vérité, Monsieur, que le principe des principes est en quelque façon le bon usage des idées et des expériences ; mais en l’approfondissant on trouvera qu’à l’égard des idées, ce n’est autre chose que de lier les définitions par le moyen des axiomes identiques. Cependant ce n’est pas toujours une chose aisée de venir à cette dernière analyse, et quelque envie que les géomètres, au moins les anciens, aient témoignée d’en venir à bout, ils ne l’ont pas encore pu faire. Le célèbre auteur de l’Essai concernant l’entendement humain leur ferait bien du plaisir s’il achevait cette recherche, un peu plus difficile qu’on ne pense. Euclide, par exemple, a mis parmi les axiomes ce qui revient à dire : que deux lignes droites ne se peuvent rencontrer qu’une seule fois. L’imagination, prise de l’expérience des sens, ne nous permet pas de nous figurer plus d’une rencontre de deux droites ; mais ce n’est pas sur quoi la science doit être fondée. Et, si quelqu’un croit que cette imagination donne la liaison des idées distinctes, il n’est pas assez instruit de la source des vérités, et quantité de propositions, démontrables par d’autres antérieures, passeraient chez lui pour immédiates. C’est ce que bien des gens qui ont repris Euclide n’ont pas assez considéré. Ces sortes d’images ne sont qu’idées confuses, et celui qui ne connaît la ligne droite que par ce moyen, ne sera pas capable d’en rien démontrer. C’est pourquoi Euclide, faute d’une idée distinctement exprimée, c’est-à-dire d’une définition de la ligne droite (car celle qu’il donne en attendant est obscure, et ne lui sert point dans les démonstrations), a été obligé de revenir à deux axiomes, qui lui ont tenu lieu de définition et qu’il emploie dans ses démonstrations : l’un que deux droites n’ont

    Théodose le Grand, vers 380. On a de lui des Collectiones mathematcæ, en huit livres (moins les deux premiers) (Pesaro, 1508, in-fol.}, et plusieurs ouvrages de mathématiques. P. J.