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de la connaissance

est comme incorporée et enluminée, tout comme l’on voit des traits chargés de couleurs, où la proposition et la configuration, consistent proprement dans les traits, quelle que soit la couleur. Or cette raison commune est l’axiome même, qui est connu pour ainsi dire implicitement, quoiqu’il ne le soit pas d’abord d’une manière abstraite et séparée. Les exemples tirent leur vérité de l’axiome incorpore, et l’axiome n’a pas le fondement dans les exemples. Et comme cette raison commune de ces vérités particulières est dans l’esprit de tous les hommes, vous voyez bien qu’elle n’a point besoin que les mots « tout et partie » se trouvent dans le langage de celui qui en est pénétré.

§ 4. Ph. Mais n’est-t-il pas dangereux d’autoriser les suppositions, sous prétexte d’axiomes ? L’un supposera avec quelques anciens, que tout est matière, l’autre avec Polémon [1] que le monde est Dieu ; un troisième, mettra en fait que le soleil est la principale divinité. Jugez quelle religion nous aurions, si cela était permis. Tant il est vrai qu’il est dangereux de recevoir des principes sans les mettre en question, surtout s’ils intéressent la morale ; car quelqu’un attendra une autre vie semblable plutôt à celle d’Aristippe [2] qui mettait la béatitude dans les plaisirs du corps qu’à celle d’Antisthène [3] qui soutenait que la vertu suffit pour rendre heureux. Et Archélaus [4] qui posera pour principe que le juste et l’injuste, l’honnête et le déshonnête sont uniquement déterminés par les lois et non par la nature, aura sans doute d’autres mesures du bien et du mal moral que ceux qui reconnaissent des obligations antérieures aux constitutions humaines. § 5. Il faut donc que les principes soient certains. § 6. Mais cette certitude ne vient que de la comparaison des idées ; ainsi nous n’avons point besoin d’autres principes, et suivant cette seule règle nous irons plus loin qu’en soumettant notre esprit à la discrétion d’autrui.

Th. Je n’étonne, Monsieur, que vous tournez contre les maximes, c’est-à-dire contre les principes évidents, ce qu’on peut et doit dire

  1. Polémon, successeur de Xénocrate, dans la direction de l’Académie (394-314). — Son opinion que le monde est Dieu est fondée sur le témoignage de Stobée (Eclogne physiol., liv.  I, ch.  ii.) P. J.
  2. Aristippe, né à Cyrène, florissait vers l’an 380 avant J.-C. Il fut disciple de Socrate.
  3. Antisthène, fondateur de l’école cynique, né à Athènes vers 422 avant J.-C., mort vers 365. Il avait écrit un grand nombre d’ouvrages, dont D. Laerte nous donne les titres, et dont il ne nous reste que des fragments. P. J.
  4. Archélaus, philosophe ionien, maître de Socrate (D. Laert, ii, 16.) P. J.