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de la connaissance

ment comme les grosses, et c’est ce qu’elles peuvent faire. Mais, si la matière pouvait tirer de son sein le sentiment, la perception et la connaissance, immédiatement et sans machine, ou sans le secours des figures et des mouvements, en ce cas-là ce devrait être une propriété inséparable de la matière et de toutes ses parties, d’en avoir. À quoi l’on pourrait ajouter qu’encore que l’idée générale et spécifique, que nous avons de la matière, nous porte à en parler comme si c’était une chose unique en nombre, cependant toute la matière n’est pas proprement une chose individuelle qui existe comme un être matériel, ou un corps singulier que nous connaissons, ou que nous pouvons concevoir. De sorte que, si la matière était le premier être éternel pensant, il n’y aurait pas un être unique éternel, infini et pensant, mais un nombre infini d’êtres éternels, infinis, pensants, qui seraient indépendants les uns des autres, dont les forces seraient bornées et les pensées distinctes, et qui, par conséquent, ne pourraient jamais produire cet ordre, cette harmonie et cette beauté qu’on remarque dans la nature. D’où il s’ensuit nécessairement que le premier être éternel ne peut être la matière. J’espère que vous serez plus content, Monsieur, de ce raisonnement pris de l’auteur célèbre de la démonstration précédente, que vous n’avez paru l’être de sa démonstration.

Th. Je trouve le présent raisonnement le plus solide du monde, et non seulement exact, mais encore profond et digne de son auteur. Je suis parfaitement de son avis qu’il n’y a point de combinaison et de modification des parties de la matière, quelque petites qu’elles soient, qui puisse produire de la perception ; d’autant que les parties grosses n’en sauraient donner (comme on reconnaît manifestement), et que tout est proportionnel dans les petites parties, à ce qui peut se passer dans les grandes. C’est encore une importante remarque sur la matière, que celle que l’auteur fait ici, qu’on ne la doit point prendre pour une chose unique en nombre ou (comme j’ai coutume de parler) pour une vraie monade ou unité, puisqu’elle n’est qu’un amas d’un nombre infini d’êtres. Il ne fallait ici qu’un pas de cet excellent auteur pour parvenir à mon système. Car, en effet, je donne de la perception à tous ces êtres infinis, dont chacun est comme un animal donc d’âme (ou de quelque principe actif analogique, qui en fait la vraie unité) avec ce qu’il faut à cet être pour être passif et doué d’un corps organique. Or ces êtres ont reçu leur nature tant active que passive (c’est-à-dire ce qu’ils ont d’immatériel et de ma-