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nouveaux essais sur l’entendement

dit notre auteur, que nous est venue la connaissance de cette sainte religion, et, sans ce secours, les maximes n’auraient jamais été capables de nous la faire connaître. La lumière nous vient donc des choses mêmes, ou immédiatement de l’infaillible véracité de Dieu.

Th. C’est comme si je disais : la médecine est fondée sur l’expérience, donc la raison n’y sert de rien. La théologie chrétienne, qui est la vraie médecine des âmes, est fondée sur la révélation, qui répond à l’expérience ; mais, pour en faire un corps accompli, il y faut joindre la théologie naturelle, qui est tirée des axiomes de la raison éternelle. Ce principe même que la véracité est un attribut de Dieu, sur lequel vous reconnaissez que la certitude de la révélation est fondée, n’est-il pas une maxime prise de la théologie naturelle ?

Ph. Notre auteur veut qu’on distingue entre le moyen d’acquérir la connaissance et celui de l’enseigner, ou bien entre enseigner et communiquer. Après qu’on eut érigé les écoles et établi des professeurs pour enseigner les sciences que d’autres avaient inventées, ces professeurs se sont servis de ces maximes pour imprimer les sciences dans l’esprit de leurs écoliers et pour les convaincre par le moyen des axiomes de quelques vérités particulières ; au lieu que les vérités particulières ont servi aux premiers inventeurs à trouver la vérité sans les maximes générales.

Th. Je voudrais qu’on nous eût justifié cette procédure prétendue par des exemples de quelques vérités particulières. Mais à bien considérer les choses, on ne la trouvera point pratiquée dans l’établissement des sciences. Et, si l’inventeur ne trouve qu’une vérité particulière, il n’est inventeur qu’a demi. Si Pythagore avait seulement observé que le triangle, dont les côtés sont 3, 4, 5, a la propriété de l’égalité du carré de l’hypoténuse avec ceux des côtés (c’est-à-dire que 9+16 fait 25) aurait-il été inventeur pour cela de cette grande vérité qui comprend tous les triangles rectangles, et qui est passée en maxime chez les géomètres ? Il est vrai que souvent un exemple, envisagé par hasard, sert d’occasion à un homme ingénieux pour s’aviser de chercher la vérité générale, mais c’est encore une affaire bien souvent que de la trouver ; outre que cette voie d’invention n’est pas la meilleure ni la plus employée chez ceux qui procèdent par ordre et par méthode, et ils ne s’en servent que dans les occasions où de meilleures méthodes se trouvent courtes. C’est comme quelques-uns ont cru qu’Archimède a trouvé le quadrature de la parabole, en pesant un morceau de bois taillé paraboliquement, et