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nouveaux essais sur l’entendement

§ 22. Ph. Maintenant, ayant parlé de la connaissance, il paraît à propos que, pour mieux découvrir l’état présent de notre esprit, nous en considérions un peu le côté obscur, et prenions connaissance de notre ignorance ; car elle est infiniment plus grande que notre connaissance. Voici les causes de cette ignorance. C’est 1o  que nous manquons d’idées ; 2o  que nous ne saurions découvrir la connexion entre les idées que nous avons ; 3o  que nous négligeons de les suivre et de les examiner exactement. § 23. Quant au défaut des idées, nous n’avons d’idées simples que celles qui nous viennent des sens internes ou externes. Ainsi à l’égard d’une infinité de créatures de l’univers et de leurs qualités, nous sommes comme les aveugles par rapport aux couleurs, n’ayant pas même les facultés qu’il faudrait pour les connaître ; et, selon toutes les apparences, l’homme tient le dernier rang parmi tous les êtres intellectuels.

Th. Je ne sais s’il n’y en a pas aussi au-dessous de nous. Pourquoi voudrions-nous nous dégrader sans nécessité ? Peut-être tenons-nous un rang assez honorable parmi les animaux raisonnables ; car des génies supérieurs pourraient avoir des corps d’une autre façon, de sorte que le nom d’animal pourrait ne leur point convenir. On ne saurait dire si notre Soleil, parmi le grand nombre d’autres, en a plus au-dessus qu’au-dessous de lui, et nous sommes bien placés dans son système ; car la terre tient le milieu entre les planètes, et sa distance parait bien choisie pour un animal contemplatif, qui la devait habiter. D’ailleurs nous avons incomparablement plus de sujet de nous louer que de nous plaindre de notre sort, la plupart de nos maux devant être imputés à notre faute. Et surtout nous aurions grand tort de nous plaindre des défauts de notre connaissance, puisque nous nous servons si peu de celles que la nature charitable nous présente.

§ 24. Ph. Il est vrai cependant que l’extrême distance de presque toutes les parties du monde qui sont exposées à notre vue les dérobe à notre connaissance, et apparemment le monde visible n’est qu’une partie de cet immense univers. Nous sommes renfermés dans un petit coin de l’espace, c’est-à-dire dans le système de notre Soleil, et cependant nous ne savons pas même ce qui se passe dans les autres planètes qui tournent à l’entour de lui aussi bien que notre boule. § 25. Ces connaissances nous échappent à cause de la grandeur et de l’éloignement, mais d’autres corps nous sont cachés à cause de leur petitesse, et ce sont ceux qu’il nous importerait le plus de