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nouveaux essais sur l’entendement

grande simplicité : un habile homme qui l’a voulu réfuter en France avoue publiquement d’en avoir été frappé. Et c’est une simplicité extrêmement féconde, à ce que je vois. Il sera bon de mettre cette doctrine de plus en plus dans son jour. Mais, en parlant des choses qui nous importent le plus, j’ai pensé à la morale, dont j’avoue que votre métaphysique donne des fondements merveilleux : mais, sans creuser si avant, elle en a d’assez fermes, quoiqu’ils ne s’étendent peut-être pas si loin (comme je me souviens que vous l’avez remarqué), lorsqu’une théologie naturelle, telle que la vôtre, n’en est pas la base. Cependant la considération des biens de cette vie sert déjà à établir des conséquences importantes pour régler les sociétés humaines. On peut juger du juste et de l’injuste aussi incontestablement que dans les mathématiques ; par exemple cette proposition : il ne saurait y avoir de injustice où il n’y a point de propriété est aussi certaine qu’aucune démonstration qui soit dans Euclide : la propriété étant le droit à une certaine chose, et l’injustice la violation d’un droit. Il en est de même de cette proposition : Nul gouvernement n’accorde une absolue liberté. Car le gouvernement est un établissement de certaines lois, dont il exige l’exécution. Et la liberté absolue est la puissance que chacun a de faire tout ce qui lui plaît.

Th. On se sert du mot de propriété un peu autrement pour l’ordinaire, car on entend un droit de l’un sur la chose, avec l’exclusion du droit d’un autre. Ainsi, s’il n’y avait point de propriété, comme si tout était commun, il pourrait y avoir de l’injustice néanmoins. Il faut aussi que dans la définition de la propriété, par chose vous entendiez encore action, car autrement ce serait toujours une injustice d’empêcher les hommes d’agir où ils en ont besoin. Mais, suivant cette explication, il est impossible qu’il n’y ait point de propriété. Pour ce qui est de la proposition de l’incompatibilité du gouvernement avec la liberté absolue, elle est du nombre des corollaires, c’est-à-dire des propositions qu’il suffit de faire remarquer. Il y en a en jurisprudence, qui sont plus composées, comme par exemple, touchant ce qu’on appelle {lang|la|jus accrescendi}}, touchant les conditions, et plusieurs autres matières ; et je l’ai fait voir en publiant dans ma jeunesse des thèses sur les conditions, où j’en démontrai quelques-unes. Et, si j’en avais le loisir, j’y retoucherais.

Ph. Ce serait faire plaisir aux curieux et servirait à prévenir quelqu’un qui pourrait les faire réimprimer sans être retouchées.