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de la connaissance

en concluaient que Dieu même ne pouvait donner la vie et la perception à une substance solide sans y mettre quelque substance immatérielle, au lieu que je vois maintenant que, s’il le faisait, ce serait par un miracle, et que cette incompréhensibilité de l’union de l’âme et du corps ou de l’alliance de la sensation avec la matière semble cesser par votre hypothèse de l’accord préétabli entre des substances différentes.

Th. En effet, il n’y a rien d’inintelligible dans cette hypothèse nouvelle, puisqu’elle n’attribue à l’âme et aux corps que des modifications que nous expérimentons en nous et en eux, et qu’elle les établit seulement plus réglées et plus liées qu’on n’a cru jusqu’ici. La difficulté qui reste n’est que par rapport à ceux qui veulent imagineriez qui n’est qu’intelligible, comme s’ils voulaient voir les sons ou écouter les couleurs ; et ce sont ces gens-là qui refusent l’existence à tout ce qui n’est point étendu, ce qui les obligera de la refuser à Dieu lui-même, c’est-à-dire de renoncer aux causes et aux raisons des changements et de tels changements : ces raisons ne pouvant venir de l’étendue et des natures purement passives et pas même entièrement des natures actives particulières et inférieures sans l’acte pur et universel de la suprême substance.

Ph. Il me reste une objection au sujet des choses dont la matière est susceptible naturellement. Le corps, autant que nous pouvons le concevoir, n’est capable que de frapper et d’affecter un corps, et le mouvement ne peut produire autre chose que du mouvement : de sorte que, lorsque nous convenons que le corps produit le plaisir ou la douleur, ou bien l’idée d’une couleur ou d’un son, il semble que nous sommes obligés d’abandonner notre raison et d’aller au-devant de nos propres idées et d’attribuer cette production au seul bon plaisir de notre créateur. Quelle raison aurons-nous donc de conclure qu’il n’en soit de même de la perception dans la matière ? Je vois à peu près ce qu’on y peut répondre, et, quoique vous en ayez déjà dit quelque chose plus d’une fois, je vous entends mieux à présent, Monsieur, que je n’avais fait. Cependant je serai bien aise d’entendre encore ce que vous y répondrez dans cette occasion importante.

Th. Vous jugez bien, Monsieur, que je dirai que la matière ne saurait produire du plaisir, de la douleur, ou du sentiment en nous. C’est l’âme qui se les produit elle-même, conformément à ce qui se passe dans la matière. Et quelques habiles gens parmi les modernes