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nouveaux essais sur l’entendement

non seulement nos idées sont fort bornées, mais encore notre connaissance est plus bornée que nos idées. Je ne doute pourtant pas que la connaissance humaine ne puisse être portée beaucoup plus loin, si les hommes voulaient s’attacher sincèrement à trouver les moyens de perfectionner la vérité avec une entière liberté d’esprit et avec toute l’application et toute l’industrie qu’ils emploient à colorer et soutenir la fausseté, à défendre un système pour lequel ils se sont déclarés, ou bien certain parti et certains intérêts où ils se trouvent engagés. Mais, après tout, notre connaissance ne saurait jamais embrasser tout ce que nous pouvons désirer de connaître touchant les idées que nous avons. Par exemple, nous ne serons peut-être jamais capables de trouver un cercle égal à un carré, et de savoir certainement s’il y en a ?

Th. Il y a des idées confuses où nous ne nous pouvons point promettre une entière connaissance, comme sont celles de quelques qualités sensibles. Mais, quand elles sont distinctes, il y a lieu de tout espérer. Pour ce qui est du carré égal au cercle, Archimède a déjà montré qu’il y en a. Car c’est celui dont le côté est la moyenne proportionnelle entre le demi-diamètre et la demi-circonférence. Et il a même déterminé une droite égale à la circonférence du cercle par le moyen d’une droite tangente de la spirale, comme d’autres par la tangente de la quadratrice ; manière de quadrature dont Clavius[1] était tout à fait content ; sans parler d’un fil appliqué à la circonférence, et puis étendu, ou de la circonférence qui roule pour décrire la cycloïde, et se change en droite. Quelques-uns demandent que la construction se fasse en n’employant que la règle et le compas ; mais la plupart des problèmes de géométrie ne sauraient être construits par ce moyen. Il s’agit donc plutôt de trouver la proportion entre le carré et le cercle. Mais, cette proportion ne pouvant être exprimée en nombres rationnels finis, il a fallu pour n’employer que des nombres rationnels, exprimer cette même proportion par une série infinie de ces nombres que j’ai assignée d’une manière assez simple. Maintenant on voudrait savoir s’il n’y a pas quelque quantité finie, quand elle ne serait que sourde, ou plus que sourde[2], qui puisse exprimer cette série infinie ; c’est-à-dire si l’on peut trouver justement un abrégé pour cela. Mais les expressions finies, irrationnelles

  1. Clavius (Christophe), 1537-1612, jésuite, mathématicien distingué, surnommé l’Euclide du xvie siècle.
  2. Sur le sourd, voir plus haut, l. II, ch. xvi. P. J.