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nouveaux essais sur l’entendement

Ce qui fait voir que les propositions identiques les plus pures et qui paraissent les plus inutiles sont d’un usage considérable dans l’abstrait et général ; et cela nous peut apprendre qu’on ne doit mépriser aucune vérité. Pour ce qui est de cette proposition, que trois est autant que deux et un, que vous alléguez encore, Monsieur, comme un exemple des connaissances intuitives, je vous dirai que ce n’est que la définition du terme trois, car les définitions les plus simples des nombres se forment de cette façon ; deux est un et un, trois est deux et un, quatre est trois et un, et ainsi de suite. Il est vrai qu’il y a là dedans une énonciation cachée que j’ai déjà remarquée, savoir que ces idées sont possibles ; et cela se connaît ici intuitivement ; de sorte qu’on peut dire qu’une connaissance intuitive est comprise dans les définitions lorsque leur possibilité paraît d’abord. Et de cette manière toutes les définitions adéquates contiennent des vérités primitives de raison et par conséquent des connaissances intuitives. Enfin on peut dire en général que toutes les vérités primitives de raison sont immédiates d’une immédiation d’idées.

Pour ce qui est des vérités primitives de fait, ce sont les expériences immédiates internes d’une immédiation de sentiment. Et c’est ici où a lieu la première vérité des cartésiens ou de saint Augustin : Je pense, donc je suis ; c’est-à-dire je suis une chose qui pense. Mais il faut savoir que, de même que les identiques sont générales ou particulières, et que les unes sont aussi claires que les autres (puisqu’il est aussi clair de dire que A est A, que de dire qu’une chose est ce qu’elle est), il en est encore ainsi des premières vérités de fait. Car non seulement il m’est clair immédiatement que je pense, mais il m’est tout aussi clair que j’ai des pensées différentes ; que tantôt je pense à A, et que tantôt je pense à B, etc. Ainsi le principe cartésien est bon, mais il n’est pas le seul de son espèce. On voit par là que toutes les vérités primitives de raison ou de fait ont cela de commun qu’on ne saurait les prouver par quelque chose de plus certain.

§ 2. Ph.Je suis bien aise, Monsieur, que vous poussez plus loin ce que je n’avais fait que toucher sur les connaissances intuitives. Or la connaissance démonstrative n’est qu’un enchaînement des connaissances intuitives dans toutes les connexions des idées médiates. Car souvent l’esprit ne peut joindre, comparer ou appliquer immédiatement les idées l’une à l’autre, ce qui l’oblige de se servir d’autres idées moyennes (une ou plusieurs) pour découvrir la con-