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des mots

de les demander, ils ne se trouvent pas aussi dans les notions les plus distinctes. On ne trouve jamais un nombre où il n’y ait rien à remarquer que la multitude en général ; un étendu, ou il n’y ait qu’étendue, un corps où il n’y ait que solidité, et point d’autres qualités : et lorsque les différences spécifiques sont positives et opposées, il faut bien que le genre prenne parti parmi elles.

Ph. Si donc quelqu’un s’imagine qu’un homme, un cheval, un animal, une plante, etc., sont distingués par des essences réelles, formées par la nature, il doit se figurer la nature bien libérale de ces essences réelles, si elle en produit une pour le corps, une autre pour l’animal, et encore une autre pour le cheval, et qu’elle communique libéralement toutes ces essences à Bucéphale ; au lieu que les genres et les espèces ne sont que des signes plus ou moins entendus.

Th.Si vous prenez les essences réelles pour ces modèles substantiels, qui seraient un corps et rien de plus, un animal et rien de plus spécifique, un cheval sans qualités individuelles, vous avez raison de les traiter de chimères. Et personne n’a prétendu, je pense, pas même les plus grands réalistes d’autrefois, qu’il y ait autant de substances qui se bornassent au générique, qu’il y a de genres. Mais il ne s’ensuit pas que si les essences générales ne sont pas cela, elles sont purement des signes ; car je vous ai fait remarquer plusieurs lois que ce sont des possibilités dans les ressemblances. C’est comme de ce que les couleurs ne sont pas toujours des substances ou des teintures extrahibles, il ne s’ensuit pas qu’elles sont imaginaires. Au reste, on ne saurait se figurer la nature trop libérale ; elle l’est au-delà de tout ce que nous pouvons inventer, et toutes les possibilités compatibles en prévalence se trouvent réalisées sur le grand théâtre de ses représentations. Il y avait autrefois deux axiomes chez les philosophes ; celui des réalistes semblait faire la nature prodigue, et celui des nominaux la semblait déclarer chiche. L’un dit que la nature ne souffre point de vide, et l’autre qu’elle ne fait rien en vain. Ces deux axiomes sont bons, pourvu qu’on les entende, car la nature est comme un bon ménager, qui épargne là où il le faut, pour être magnifique en temps et en lieu. Elle est magnifique dans les effets, et ménagère dans les causes qu’elle emploie.

§ 34. Ph. Sans nous amuser davantage à cette contestation sur les essences réelles, c’est assez que nous obtenions le but du langage et l’usage des mots, qui est d’indiquer nos pensées en abrégé. Si je veux parler à quelqu’un d’une espèce d’oiseau de trois ou quatre