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nouveaux essais sur l’entendement

double animal, et renferme un insecte volant sous la forme de la chenille : tant nous sommes encore dans l’obscurité sur un si important article. L’analogie des plantes nous donnera peut-être des lumières un jour, mais à présent nous ne sommes guère informés de la génération des plantes mêmes ; le soupçon de la poussière qui se fait remarquer, comme qui pourrait répondre à la semence masculine, n’est pas encore bien éclairci. D’ailleurs un brin de la plante est bien souvent capable de donner une plante nouvelle et entière, à quoi l’on ne voit pas encore de l’analogie dans les animaux ; aussi ne peut-on point dire que le pied de l’animal est un animal, comme il semble que chaque branche de l’arbre est une plante capable de fructifier à part. Encore les mélanges des espèces, et même les changements dans une même espèce réussissent souvent avec beaucoup de succès dans les plantes. Peut-être que dans quelque temps ou dans quelque lieu de l’univers, les espèces des animaux sont ou étaient ou seront plus sujettes à changer qu’elles ne sont présentement parmi nous, et plusieurs animaux qui ont quelque chose du chat, comme le lion, le tigre et le lynx, pourraient avoir été d’une même race et pourraient être maintenant comme des sous-divisions nouvelles de l’ancienne espèce du chat. Ainsi je reviens toujours à ce que j’ai dit plus d’une fois, que nos déterminations des espèces physiques sont provisionnelles et proportionnelles à nos connaissances.

§ 24. Ph. Au moins les hommes, en faisant leurs divisions des espèces, n’ont jamais pensé aux formes substantielles, excepté ceux qui, dans ce seul endroit du monde où nous sommes, ont appris le langage de nos écoles.

Th. Il semble que depuis peu le nom des termes substantielles est devenu infâme auprès de certaines gens, et qu’on a honte d’en parler. Cependant il y a encore peut-être en cela plus de mode que de raison. Les Scolastiques employaient mal à propos une notion générale, quand il s’agissait d’expliquer des phénomènes particuliers ; mais cet abus ne détruit point la chose. L’âme de l’homme déconcerte un peu la confiance de quelques-uns de nos modernes. Il y en a qui avouent qu’elle est la forme de l’homme ; mais aussi ils veulent qu’elle est la seule forme substantielle de la nature connue. M. Descartes en parle ainsi, et il donna une correction à M. Regius[1] sur

  1. Regius, nom latinisé de Leroy, l’un des premiers disciples de Descartes en Hollande. Après avoir adopté avec enthousiasme les idées de Descartes, il