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des mots

tion aux mulets de Cappadoce, et on m’écrit de la Chine qu’il y a dans la Tartarie voisine des mulets de race : aussi voyons-nous que les mélanges des plantes sont capables de conserver leur nouvelle espèce. Toujours on ne sait pas bien dans les animaux si c’est le mâle ou la femelle, ou l’un et l’autre, ou ni l’un ni l’autre qui détermine le plus l’espèce. La doctrine des œufs des femmes, que feu M.  Kerkring[1] avait rendue fameuse, semblait réduire les mâles à la condition de l’air pluvieux par rapport aux plantes, qui donne moyen aux semences de pousser et de s’élever de la terre, suivant les vers que les priscillianistes répétaient[2] de Virgile :

Cum pater omnipotens foecundis imbribus æther
Conjugis in lætæ gremium descendit et omnes
Magnus alit magno commissus corpore fœtus.

En un mot, suivant cette hypothèse, le mâle ne ferait guère plus que la pluie. Mais M.  Leuwenhoeck[3] a réhabilité le genre masculin, et l’autre sexe est dégradé à son tour, comme s’il ne faisait que la fonction de la terre à l’égard des semences, en leur fournissant le lieu et la nourriture ; ce qui pourrait avoir lieu quand même on maintiendrait encore les œufs. Mais cela n’empêche point que l’imagination de la femme n’ait un grand pouvoir sur la forme du fœtus, quand on supposerait que l’animal est déjà venu du mâle. Car c’est un état destiné à un grand changement ordinaire et d’autant plus susceptible aussi de changements extraordinaires. On assure que l’imagination d’une dame de condition, blessée par la vue d’un estropié, ayant coupé la main du fœtus fort voisin de son terme, cette main s’est trouvée depuis dans l’arrière-faix, ce qui mérite pourtant confirmation. Peut-être que quelqu’un viendra qui prétendra, quoique l’âme ne puisse venir que d’un sexe, que l’un et l’autre sexe fournit quelque chose d’organisé, et que de deux corps il s’en fait un, de même que nous voyons que le ver à soie est comme un

  1. Kerkring (Théodore), 1640-1693, anatomiste célèbre, né à Amsterdam, mort à Hambourg. condisciple de Spinoza auprès de Francis Van Ende, leur maître commun (Opera omnia anatomica ; La Haye, 1717).
  2. Les Priscillianistes, hérésie chrétienne mélangée de gnosticisme et de manichéisme.
  3. Leuwenhoeck, naturaliste célèbre, né à Delft en 1633, mort en 1723, fit de nombreuses et importantes observations microscopiques. Ses mémoires très nombreux et publiés séparément, ont été réunis et traduits en latin sous ce titre : Arcana nature detecta, 4 vol. in-4o ; Delft, 1605-1609.