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des mots

savait faire des choses bien au-dessus de nous, il pourrait se faire croire. Si quelque autre venait de la lune par le moyen de quelque machine extraordinaire comme Gonzalès[1] et nous racontait des choses croyables de son pays natal, il passerait pour lunaire, et cependant on pourrait lui accorder l’indigénat et les droits de bourgeoisie avec le titre d’homme, tout étranger qu’il serait à notre globe ; mais, s’il demandait le baptême et voulait être reçu prosélyte de notre loi, je crois qu’on verrait de grandes disputes s’élever parmi les théologiens. Et, si le commerce avec ces hommes planétaires, assez approchants des nôtres, selon M.  Hugens, était ouvert, la question mériterait un concile universel, pour savoir si nous devrions étendre le soin de la propagation de la foi jusqu’au dehors de notre globe. Plusieurs y soutiendraient sans doute que les animaux raisonnables de ce pays n’étant pas de la race d’Adam n’ont point de part à la rédemption de Jésus-Christ : mais d’autres diraient peut-être que nous ne savons pas assez ni où Adam a toujours été, ni ce qui a été fait de toute sa postérité, puisqu’il y a eu même des théologiens qui ont cru que la lune a été le lieu du paradis ; et peut-être que par la pluralité on conclurait pour le plus sûr, qui serait de baptiser ces hommes douteux sous condition s’ils en sont susceptibles ; mais je doute qu’on voulût jamais les faire prêtres dans l’Église romaine, parce que leurs consécrations seraient toujours douteuses, et on exposerait les gens au danger d’une idolâtrie matérielle dans l’hypothèse de cette Église. Par bonheur, la nature des choses nous exempte de tous ces embarras ; cependant ces fictions bizarres ont leur usage dans la spéculation, pour bien connaître la nature de nos idées.

§ 23. Ph. Non seulement dans les questions théologiques, mais encore en d’autres occasions quelques-uns voudraient peut-être se régler sur la race, et dire que dans les animaux la propagation par l’accouplement du mâle et de la femelle, et dans les plantes par le moyen des semences, conserve les espèces supposées réelles distinctes et en leur entier. Mais cela ne servirait qu’à fixer les espèces des animaux et des végétaux. Que faire du reste ? et il ne suffit pas même à l’égard de ceux-là, car, s’il faut en croire l’histoire, des

  1. Voir l’Homme dans la lune, et le voyage chimérique fait au monde de la lune, actuellement découvert par Dominique Gonzalès, aventurier espagnol, autrement dit le Courrier volant, écrit en notre langue par J. B. P., (Jean Baudoin). — Paris, 1648.