Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
2
l’entendement humain

prétexte que ceux qui méditeront les idées, trouveront la même chose qu’eux : c’est-à-dire que ceux qui s’accoutumeront à leur jargon et à leur manière de penser, auront les mêmes préventions ; ce qui est très véritable.

Mon opinion est donc qu’on ne doit rien prendre pour principe primitif, sinon les expériences et l’axiome de l’identicité, ou, ce qui est la même chose, de la contradiction, qui est primitif, puisque autrement il n’y aurait point de différence entre la vérité et la fausseté ; et que toutes les recherches cesseraient d’abord, s’il était indifférent de dire oui ou non. On ne saurait donc s’empêcher de supposer ce principe, dès qu’on veut raisonner. Toutes les autres vérités sont prouvables, et j’estime extrêmement la méthode d’Euclide[1], qui sans s’arrêter à ce qu’on croirait être assez prouvé par les prétendues idées, a démontré, par exemple, que dans un triangle un côté est toujours moindre que les deux autres ensemble. Cependant Euclide a eu raison de prendre quelques Axiomes pour accordés, non pas comme s’ils étaient véritablement primitifs et indémontrables ; mais parce qu’il se serait arrêté, s’il n’avait voulu venir aux conclusions qu’après une discussion exacte des principes. Ainsi il a jugé à propos de se contenter d’avoir poussé les preuves jusqu’à ce petit nombre de propositions ; en sorte qu’on peut dire que, si elles sont vraies, tout ce qu’il dit l’est aussi. Il a laissé à d’autres le soin de démontrer ces principes mêmes, qui d’ailleurs sont déjà justifiés par les expériences ; mais c’est de quoi on ne se contente point en ces matières. C’est pourquoi Apollonius[2], Proclus[3] et autres ont

  1. Euclide, grand géomètre de l’antiquité (qu’il ne faut pas confondre avec le philosophe Euclide de Mégare, disciple de Socrate) ; on ne connaît la date ni de sa naissance ni de sa mort : on sait seulement qu’il vécut à Alexandrie, sous le règne de Ptolémée, fils de Lagus, dans le iiie siècle avant l’ère chrétienne. Le plus important de ses ouvrages est son livre des Éléments, qui est encore aujourd’hui la base de l’enseignement. Une édition grecque-latine et française a été publiée par Payrard, in-4°, Paris, 1814.
  2. Appollonius de Perge en Pamphilie, l’un des quatre grands géomètres de l’antiquité (avec Euclide, Archimède et Diophante), né vers 247 avant J.-C., florissait sous Ptolémée Philopator (221-215) ; on ignore la date de sa mort. Son Traité des Sections coniques est aussi célèbre que les Éléments d’Euclide.
  3. Proclus, célèbre philosophe néo-platonicien ; né à Byzance en 412, mort à Athènes en 485. Ses principaux ouvrages sont : les Éléments de théologie (στοιχείωσις θεολογιϰή) ; la Théologie selon Platon ; le Commentaire sur le Timée. M. Victor Cousin a donné une édition des œuvres inédites (in-4°, Paris, 1864), qui contient le Commentaire de Paménide, le Commentaire sur le premier Alcibiade, et son traité de Providentia, libertate, et malo, dont nous n’avons pas le texte, et qui n’est connu que par la traduction latine de Guillaume de Morbika. Il a fait aussi des ouvrages de géométrie.