Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
253
des mots

tions des prédicats (c’est-à-dire des modes et des objets des idées simples) étaient toujours réelles et nominales en même temps, et que celles des substances n’étaient que nominales. Je demeure bien d’accord qu’il est plus difficile d’avoir des définitions réelles des corps, qui sont des êtres substantiels, parce que leur contexture est moins sensible. Mais il n’en est pas de même de toutes les substances ; car nous avons une connaissance des vraies substances ou des unités (comme Dieu et de l’âme), aussi intime que nous en avons de la plupart des modes. D’ailleurs, il y a des prédicats aussi peu connus que la contexture des corps : car le jaune ou l’amer, par exemple, sont les objets des idées ou fantaisies simples, et néanmoins on n’en a qu’une connaissance confuse, même dans les mathématiques, où un même mode peut avoir une définition nominale aussi bien qu’une réelle. Peu du gens ont bien expliqué en quoi consiste la différence de ces deux définitions, qui doit discerner aussi l’essence et la propriété. À mon avis, cette différence est que la réelle fait voir la possibilité du défini et la nominale ne le fait point : la définition des deux droites parallèles, qui dit qu’elles sont dans un même plan et ne se rencontrent point quoiqu’on les continue à l’infini, n’est que nominale, car on pourrait douter d’abord si cela est possible. Mais, lorsqu’on a compris qu’on peut mener une droite parallèle dans un plan à une droite donnée, pourvu qu’on prenne garde que la pointe du style, qui décrit la parallèle, demeure toujours également distante de la donnée, on voit en même temps que la chose est possible et pourquoi elles ont cette propriété de ne se rencontrer jamais, qui en fait la définition nominale, mais qui n’est la marque du parallélisme que lorsque les deux lignes sont droites, au lieu que si l’une au moins était courbe, elles pourraient être de nature à ne se pouvoir jamais rencontrer, et cependant elles ne seraient point parallèles pour cela[1].

§ 19. Ph. Si l’essence était autre chose que l’idée abstraite, elle ne serait point ingénérable et incorruptible. Une licorne, une sirène, un cercle exact ne sont peut être point dans le monde.

Th. Je vous ai déjà dit, Monsieur, que les essences sont perpétuelles, parce qu’il ne s’y agit que du possible.

  1. C’est ce qu’on appelle les asymptotes.