Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/273

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
245
des mots

entretenons, ce serait parler deux langues. Il est vrai qu’on ne s’arrête pas trop à examiner quelles sont les idées des autres, et l’on suppose que notre idée est celle que les communes et les habiles gens du pays attachent au même mot. § 6. Ce qui a lieu particulièrement à l’égard des idées simples et des modes ; mais, quant aux substances, on y croit plus particulièrement que les mots signifient aussi la réalité des choses.

Th. Les substances et les modes sont également représentés par les idées ; et les choses, aussi bien que les idées, dans l’un et l’autre cas sont marquées par les mots ; ainsi je n’y vois guère de différence, sinon que les idées des choses substantielles et des qualités sensibles sont plus fixes. Au reste, il arrive quelquefois que nos idées et pensées sont la matière de nos discours et font la chose même qu’on veut signifier, et les notions réflexives entrent plus qu’on ne croit dans celle des choses. On parle même quelquefois des mots matériellement, sans que, dans cet endroit-la précisément, on puisse substituer à la place du mot la signification, ou le rapport aux idées ou aux choses ; ce qui arrive non seulement lorsqu’on parle en grammairien, mais encore quand on parle en dictionnariste, en donnant l’explication du nom.

Chap. III. — Des termes généraux.

§ 1. Ph. Quoiqu’il n’existe que des choses particulières, la plus grande partie des mots ne laisse point d’être des termes généraux, parce qu’il est impossible, § 2. que chaque chose particulière puisse avoir un nom particulier et distinct, outre qu’il faudrait une mémoire prodigieuse pour cela, au prix de laquelle celle de certains généraux qui pouvaient nommer tous leurs soldats par leur nom ne serait rien. La chose irait même à l’infini, si chaque bête, chaque plante et même chaque feuille de plante, chaque graine, enfin chaque grain de sable qu’on pourrait avoir besoin de nommer devait avoir son nom. Et comment nommer les parties des choses sensiblement uniformes, comme de l’eau, du fer ? § 3. Outre que ces noms particuliers seraient inutiles, la fin principale du langage étant d’exciter dans l’esprit de celui qui m’écoute une idée semblable à la mienne. Ainsi la similitude suffit, qui est marquée par les termes