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nouveaux essais sur l’entendement

naturel des idées, car cet ordre serait commun aux anges et aux hommes et à toutes les intelligences en général et devrait être suivi de nous, si nous n’avions point égard à nos intérêts : il a donc fallu s’attacher à celui que les occasions et les accidents où notre espèce est sujette, nous ont fourni ; et cet ordre ne donne pas l’origine des notions, mais pour ainsi dire l’histoire de nos découvertes.

Ph. Fort bien, et c’est l’analyse des mots, qui nous peut apprendre par les noms mêmes cet enchaînement que celle des notions ne saurait donner par la raison que vous avez apportée. Ainsi les mots suivants : imaginer, comprendre, s’attacher, concevoir, instiller, dégoûter, trouble, tranquillité, etc., sont tous empruntés des opérations des choses sensibles et appliqués à certains modes de penser. Le mot esprit dans sa première signification est le souffle, et celui d’Ange signifie messager. D’où nous pouvons conjecturer quelle sorte de notions avaient ceux qui parlaient les premiers ces langues-là, et comment la nature suggéra inopinément aux hommes l’origine et le principe de toutes leurs connaissances par les noms mêmes.

Th. Je vous avais déjà fait remarquer que dans le credo des Hottentots, on a nommé le Saint-Esprit par un mot, qui signifie chez eux un souffle de vent bénin et doux. Il en est même à l’égard de la plupart des autres mots, et même on ne le reconnaît pas toujours, parce que le plus souvent les vraies étymologies sont perdues. Un certain Hollandais, peu affectionné à la religion, avait abusé de cette vérité (que les termes de théologie, de morale et métaphysique sont pris originairement de choses grossières) pour tourner en ridicule la théologie et la foi chrétienne dans un petit dictionnaire flamand, où il donnait aux termes des définitions ou explications non pas telles que l’usage demande, mais telles que semblait porter la force originaire des mots, et les tournait malignement ; et comme l’ailleurs il avait donné des marques d’impiété, on dit qu’il en fut puni dans le Raspel-huyss. Il sera bon cependant de considérer cette analogie des choses sensibles et insensibles, qui a servi de fondement aux tropes : c’est ce qu’on entendra mieux en considérant un exemple fort étendu tel qu’est celui que fournit l’usage des prépositions, comme : à, avec, de, devant, en, hors, par, pour, sur, vers, qui sont toutes prises du lieu, de la distance, et du mouvement, et transférées depuis à toute sorte de changements, ordres, suites, différences, convenances. À signifie approcher