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après tout, il faut bien reconnaître que l’âme humaine, dans son premier état, n’est guère autre chose qu’une âme végétative, qui s’élève par degré jusqu’à l’état d’âme pensante. Il n’y aurait donc nulle contradiction à admettre que toute monade contient en puissance une âme, pensante. Mais si une telle hypothèse répugne, je dis qu’on n’y est nullement contraint par le système monadologique, qui tout aussi bien que l’atomisme vulgaire peut admettre une échelle de substances essentiellement distinctes les unes des autres.

Une autre objection que soulève le système leibnizien, et Arnauld ne manque pas de la faire dans une de ses lettres, c’est que le système des monades affaiblit l’argument du premier moteur en donnant à conjecturer que la matière peut être douée de puissance active et par conséquent de mouvement spontané. Leibniz ne répond pas à cette objection d’une manière très concluante, et il se borne à dire qu’il faut toujours avoir recours à Dieu pour expliquer la coordination des mouvements. Mais c’est sortir de la question : car la coordination ne se rapporte pas à l’argument du premier moteur, mais à celui de l’ordre et de l’arrangement, qui est tout autre. Seulement, il est à remarquer que Leibniz, pour établir la réalité de la force dans la substance corporelle, se sert bien plutôt du fait de la résistance au mouvement, que de celui d’un mouvement prétendu spontané. Ainsi l’un de ses principaux arguments, c’est qu’un corps mis en mouvement qui en rencontre un autre perd de son mouvement en proportion de la résistance que cet autre lui oppose ; et c’est ce qu’il appelle l’inertie. Or, si l’activité d’une substance en repos se manifeste par la résistance au mouvement, on voit : que l’argument du premier moteur, bien loin d’en être affaibli, en serait au contraire fortifié.

Au reste, même en admettant dans les éléments des corps une disposition spontanée au mouvement, on est toujours obligé de reconnaître, par l’expérience, que cette disposition ne passe à l’acte que par l’excitation d’une action étrangère, puisque nous ne voyons jamais un corps mis en mouvement