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des idées

décagone régulier ou d’un poids de 99 livres, ne consiste que dans une idée confuse, puisqu’elle ne sert pointù de onvrir la nature et les propriétés de ce poids ou du décagone régulier, ce qui demande une idée distincte. Et cet exemple sert at mieux entendre la différence des idées ou plutôt celle de l’idée et delïmage.

§ 15. Ph. Autre exemple : nous sommes portés à croire que nous avons une idée positive et complète de l’éternité, ce qui est autant que si nous disions qu’il n’y a aucune partie de cette durée qui ne soit clairement connue dans notre idée : mais, quelque grande que soit la durée qu’on se représente, comme il s’agit d’une étendue sans bornes, il reste toujours une partie de l’idée au delà de ce qu’on représente qui demeure obscure et indéterminée ; et de là vient que, dans les disputes et raisonnements qui regardent l’éternité ou quelque-autre infini, nous sommes sujets à nous embrouiller dans de manifestes absurdités.

Th. Cet exemple ne me paraît point quadrer non plus à votre dessein, mais il est fort propre au mien, qui est de vous désabuser de vos notions sur ce point. Car il y règne la même confusion de l’image avec l’idée. Nous avons une idée complète ou juste de l’éternité, puisque nous en avons la définition, quoique nous n’en ayons aucune image ; mais on ne forme point l’idée des infinis par la composition des parties, et les erreurs qu’on commet en raisonnant sur l’infini ne viennent point du défaut de l’image.

§ 18. Ph. Mais n’est-il pas vrai que, lorsque nous parlons de la divisibilité de la matière à l’infini, quoique nous ayons des idées claires de la division, nous n’en avons que de fort obscures et fort confuses des particules ? Car je demande, si un homme prend le plus petit atome de poussière qu’il ait jamais vu, aura-t-il quelque idée distincte entre la 100,000me et la 1,000,000me particule de cet atome.

Th. C’est le même qui pro quo de l’image pour l’idée, que je m’étonne de voir si confondues : il ne s’agit nullement d’avoir une image d’une si grande petitesse. Elle est impossible suivant la présente constitution de notre corps, et, si nous la pouvions avoir, elle serait à peu près comme celle des choses qui nous paraissent maintenant perceptibles ; mais en récompense ce qui est maintenant l’objet de notre imagination nous échapperait et deviendrait trop grand pour être imaginé. La grandeur n’a point d’images en elle-même, et celles qu’on en a ne dépendent que de la comparaison aux