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nouveaux essais sur l’entendement

Th. Dans un petit discours sur les idées, vraies ou fausses, claires ou obscures, distinctes ou confuses, inséré dans les actes de Leipsick l’an 1684 j’ai donné une définition des idées claires, commune aux simples et aux composées, et qui rend raison de ce qu’on en dit ici. Je dis donc qu’une idée est claire lorsqu’elle suffit pour reconnaître la chose et pour la distinguer : comme lorsque j’ai une idée bien claire d’une couleur, je ne prendrai pas une autre pour celle que je demande, et si j’ai une idée claire d’une plante, je la discernerai parmi d’autres voisines ; sans cela l’idée est obscure. Je crois que nous n’en avons guère de parfaitement claires sur les choses sensibles. Il y a des couleurs qui s’approchent de telle sorte, qu’on ne saurait les discerner par mémoire, et cependant on les discernera quelquefois, l’une étant mise près de l’autre. Et lorsque nous croyons avoir bien décrit une plante, on en pourra apporter une des indes, qui aura tout ce que nous aurons mis dans notre description, et qui ne laissera pas de se faire connaître d’espèce différente : ainsi nous ne pourrons jamais déterminer parfaitement species infimas ou les dernières espèces.

§ 4. Ph. Comme une idée claire est celle dont l’esprit a une pleine et évidente perception telle qu’elle est, quand il la reçoit d’un objet extérieur, qui opère dûment sur un organe bien disposé ; de même une idée distincte est celle où l’esprit aperçoit une différence, qui la distingue de toute autre idée ; et une idée confuse est celle qu’on ne peut pas suffisamment distinguer d’avec une autre, de qui elle doit être différente.

Th. Suivant cette notion que vous donnez de l’idée distincte, je ne vois point le moyen de la distinguer de l’idée claire. C’est pourquoi j’ai coutume de suivre ici le langage de M.  Descartes, chez qui une idée pourra être claire et confuse en même temps ; et telles sont les idées des qualités sensibles, affectées aux organes, comme celle de la couleur ou de la chaleur. Elles sont claires, car on les reconnaît et on les discerne aisément les unes des autres, mais elles ne sont point distinctes, parce qu’on ne distingue pas ce qu’elles renferment. Ainsi on n’en saurait donner la définition. On ne les fait connaître que par des exemples, et au reste il faut dire que c’est un je ne sais quoi, jusqu’à ce qu’on en déchiffre la contexture. Ainsi quoique, selon nous, les idées distinctes distinguent l’objet d’un autre, néanmoins, comme les claires, mais confuses en elles-mêmes, le font aussi, nous nommons distinctes non pas toutes celles qui